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L'enquête Syndex-IFOP sur la mise en place du CSE

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Lancé au coeur de l’été 2017, le CSE prend progressivement vie dans le paysage social français. Dans moins d’un an, il existera dans toutes les entreprises de plus 10 salariés. Or pour la majorité des élus actuels, le pas du CSE reste à franchir. C’est pourquoi Syndex s’est associé à l’IFOP pour enquêter sur le passage en CSE et l’état d’esprit des représentants des salariés. Que racontent les résultats de cette enquête ? Quels enseignements en tirer pour ceux qui négocient ou auront tout prochainement à négocier ?

Enquête Syndex-IFOP

S’il fallait retenir un mot pour qualifier l’état d’esprit des représentants des salariés à l’égard du CSE, ce serait inquiétude. Ce sentiment est partagé parles trois quarts des personnes interrogées. Pourtant, nombre d’entre elles attendaient malgré tout de la réforme qu’elle soit l’occasion de refonder le dialogue social.

Début 2019, les négociations liées au passage au CSE sont achevées pour un quart des répondants à l’enquête. Pour une majorité, la fusion des instances reste donc à négocier (38%) ou est en cours de négociation (33%). Ces négociations se déroulent dans un contexte social mitigé, voire dégradé aux yeux de nombreux représentants des salariés. Ainsi, 55% d’entre eux attribuent une note inférieure à 5 sur 10 à la qualité du dialogue dans leur entreprise. La question du CSE a d’autant plus de peine à émerger que les salariés sont peu au fait de la réforme voire s’en désintéressent.

LE PASSAGE EN CSE INQUIÈTE

Les représentants des salariés interrogés s’affirment inquiets, parfois en colère (31%) ou déçus (39%) vis-à-vis du passage en CSE, mais pour beaucoup cela n’entame ni leur détermination ni leur motivation, sentiment largement partagés par les répondants (respectivement 55% et 43%). Parallèlement, seuls 19% des élus se déclarent optimistes.

Parallèlement, les directions sont jugées peu ouvertes au dialogue : le terme « opportuniste » est, de loin, le plus largement choisi par les répondants pour les qualifier (72%), suivi de satisfaite (47%), fermée et attentiste (42% chacun). L’écoute et l’ouverture sont bien moins souvent mentionnées (respectivement 31% et 25% de citations).

Mais ces ressentis tiennent aussi à d’autres éléments. Nombre d’élus voient dans la réforme une volonté d’affaiblir les syndicats et craignent une perte de leur capacité d’action. Environ 4 élus sur 10 associent ainsi le passage en CSE à un affaiblissement de leur poids face à celui de la direction, à une diminution des moyens alloués et du temps disponible pour accompagner les salariés. À cela s’ajoutent un investissement en temps supérieur, une moins bonne prise en compte des enjeux de sécurité au travail, mais aussi une perte de proximité avec les salariés, en particulier dans les entreprises multi-établissements, et le manque d’expertise des élus sur l’ensemble des sujets économiques et SSCT. Ainsi se dessine ici l’un des phénomènes les plus inquiétants aux yeux des élus du personnel pour la qualité du dialogue social à l’avenir : la réduction de leurs moyens dans un contexte où l’investissement qui leur est demandé s’accroît, et de là une modification de l’équilibre du dialogue social à leur détriment. C’est ce que souligne Sandra Wiesen, secrétaire CFDT du CSE de Bosch Service Solutions Freyming-Merlebach : « Nous avons plein de choses à faire avec moins de temps et une réunion tous les deux mois, Or, les salariés n’attendent pas, le quotidien n’attend pas.»

Aux yeux des élus allant vers les négociations, les discussions qui s'ouvrent promettent d'être difficiles

Toutefois, le passage en CSE peut être également source d’opportunités aux yeux des élus du personnel. Les attentes se tournent vers un nouveau souffle pour le dialogue social au sein de l’entreprise : l’émergence d’une nouvelle dynamique (36% de citations), une meilleure vision de l’ensemble des enjeux (36%), une transmission facilitée des informations entre tous les élus (33%) et un plus grand investissement des élus (33%) sont les principaux effets positifs que le passage en CSE pourrait amener au dialogue social. « Avant, les différentes instances travaillaient en silos. Maintenant, nous sommes obligés de parler de tout ensemble », explique Nicolas Lyons, délégué syndical central CFDT chez Solvay.

La capacité du CSE à accorder la place nécessaire aux sujets économiques et de sécurité et santé au travail avec des moyens réduits constitue un dernier point d’achoppement, d’autant plus important que conditions de travail et santé et risques psychosociaux arrivent en tête des sujets jugés prioritaires pour le CSE, avec respectivement 63% et 60% de citations, devant les enjeux de gouvernance, économiques et sociaux. « Lors d’une réunion récente il y avait 32 points à l’ordre du jour. À la fin d’une journée ni les élus ni la direction n’étaient en mesure d’avoir un dialogue de qualité » s’inquiète Sébastien Dusch, délégué syndical central CFE-CGC chez Robert Bosch France.

PEU PRéPARéS

La négociation du passage en CSE semble incontournable. Ainsi, une négociation a eu lieu dans 81% des passages en CSE de l’échantillon, les décisions unilatérales ayant plus fréquemment été observées dans les plus petites structures. Mais pour mener ces négociations à bien, encore faut-il être préparé. Si la moitié des personnes interrogées se déclare assez bien préparée, pour 36% ce n’est pas le cas. Seule une courte minorité de représentants, principalement au sein des plus grosses structures, se sentent ou se sont sentis réellement prêts à ces négociations.

C’est également au sein des structures plus importantes que les élus ont pu plus largement bénéficier d’un accompagnement extérieur pour s’informer sur cette réforme et s’y préparer. Au global, les organisations syndicales sont particulièrement présentes aux côtés des élus : 82% de l’échantillon bénéficient d’un accompagnement de leur centrale. Mais l’aide d’un cabinet d’expertise ou d’un autre acteur (cabinet d’avocats par exemple) est bien moins répandue : ce sont respectivement 39% et 28% des représentants interrogés qui déclarent bénéficier d’un tel accompagnement, proportions qui s’élèvent à 46% et 34% dans les entreprises de 1 000 salariés et plus. Or cet accompagnement apparaît d’autant plus crucial que les élus rencontrés font part pour certains de difficultés à travailler à de véritables contre-propositions.

DISCUSSIONS DIFFICILES

Aux yeux des élus allant vers les négociations (73% des répondants), les discussions qui s’ouvrent promettent d’être difficiles. Or les manques ressentis par ceux qui ont négocié (26% de l’ensemble) confirment leurs craintes. Ainsi, 64% de ceux qui vont négocier anticipent un manque d’ouverture au dialogue de la part de leur direction, ce à quoi 50% de ceux qui ont déjà négocié ont dû faire face. 48% de ceux qui n’ont pas encore négocié craignent l’investissement en temps que la négociation leur demandera et 40% s’attendent à manquer de temps pour travailler de véritables alternatives. Ces deux points sont relevés par respectivement 46% et 34% de ceux qui ont déjà négocié. Enfin un tiers des deux populations craint de manquer de ou a ressenti un manque en connaissances techniques ou juridiques.

Cela corrobore l’expérience de certains élus rencontrés, qui ont regretté, dans ces négociations, le manque de discussions véritables, certaines directions se fondant sur la base du supplétif ou des critères comptables plus que sur une ambition de refonder le dialogue social au sein de l’entreprise. In fine, ce processus s’est avéré décevant pour de nombreux représentants qui pouvaient y voir l’opportunité de repenser les relations sociales et de faire de cette réforme un outil d’innovation sociale.

SAUVEGARDER LES MOYENS D’ACTION

Pour les personnes sondées, l’objectif premier dans la négociation est de maintenir autant que possible une capacité d’action réelle au sein de la nouvelle instance, donc ses moyens. Deux axes de négociation émergent particulièrement : les heures de délégation (46% de mentions) et la présence des suppléants aux réunions (45%), « essentielle pour l’apprentissage de la fonction de représentant des salariés », pour Olivier Laviolette, membre du comité de direction de Syndex. Viennent ensuite l’organisation et les moyens de consultation du CSE (40%).

Alors que la marche des CE, DP, et CHSCT était éprouvée, le nouveau système laisse de nombreux élus interrogatifs

Il apparaît en effet que le passage en CSE s’est accompagné, dans les entreprises ayant déjà signé l’accord, d’une diminution substantielle des moyens alloués au dialogue social, confirmant les inquiétudes fortes exprimées par l’ensemble des représentants interrogés. Il en est de même pour les comités d’établissement : au sein des entreprises multi-sites passées en CSE, celui-ci est désormais de 5,9 en moyenne, contre 8 avant la réforme, ce qui atténue le lien de proximité entre élus et salariés et donc la dynamique sociale au sein des entreprises.

Au-delà des négociations, le passage en CSE a un impact concret pour les élus, qui ont expérimenté ou anticipent un investissement personnel supplémentaire en réponse à la réduction de leurs moyens. Ce sentiment a été nettement exprimé par les élus rencontrés en face à face, qui font part de la nécessité de « faire plus avec moins ». C’est ainsi le ressenti d’une « pure perte » par rapport à l’ancien système qui traverse de nombreux esprits. Alors que la marche des CE, DP et CHSCT était éprouvée, la nécessité de se réorganiser au sein d’un nouveau système laisse de nombreux élus interrogatifs.

éQUILIBRE MODIFIé

C’est ainsi tout l’équilibre du dialogue social qui est modifié et, aux yeux des sondés, fragilisé. Les directions apparaissent comme les acteurs qui bénéficieront le plus de cette réforme, sinon les seuls (78% des élus les citent ainsi comme « l’acteur qui y a le plus gagner » du passage en CSE). À l’inverse, nombreux sont ceux qui vont en pâtir aux yeux des élus, en premier lieu les salariés (cités par 61% des représentants interrogés), les organisations syndicales (44%), et les élus eux-mêmes (33%). Pour eux, le passage en CSE matérialise ainsi la volonté d’affaiblir le dialogue social au sein des entreprises. Ainsi 6% seulement des élus interrogés portent un regard positif sur cette nouvelle instance et 60% jugent que le passage en CSE va détériorer le dialogue social dans leur entreprise. « Les trois quarts du match restent à jouer. Nous espérons que la première évaluation des ordonnances et cette enquête pèseront pour la suite », conclut Olivier Laviolette.

Le panel

L’enquête Syndex-IFOP s’est déroulée d’octobre à décembre 2018. Elle a démarré par une enquête qualitative reposant sur des entretiens individuels d’une heure avec 15 élus issus de petites et grandes entreprises monosites ou multisites. Elle s’est poursuivie par une enquête quantitative conduite à l’aide d’un questionnaire en ligne auquel ont répondu 1 147 représentants des salariés issus de secteurs d’activité variés et d’entreprises de tailles diverses.

 

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