Regards croisés : Conditions de travail et numérique
Afficher l'article en plein écranPar Anne-Gaëlle Lefeuvre, intervenante Syndex auprès des CE, chargée de l’Enquête du Futur sur la transformation des entreprises, et Fabrice Rauzier, intervenant Syndex auprès des CHSCT
Syndex - En quoi la numérisation influe-t-elle sur les conditions de travail ?
AGL - Le numérique se traduit par une demande de flexibilité et de rapidité plus grande, ce qui touche tout le monde dans l’entreprise. Souvent, les outils numériques facilitent le travail. Ils permettent ainsi de solliciter les salarié·e·s sur un plus grand nombre de tâches et induisent une intensification et une densification de la charge de travail. Dans certains cas, lorsque le temps qu’ils libèrent est employé à d’autres tâches, les salarié·e·s courent le risque de ne plus pouvoir faire face.
FR - Toute la question est de savoir si l’organisation doit s’adapter à l’outil ou si c’est l’inverse. Aujourd’hui, dans le droit français, l’outil doit s’adapter, mais on voit que c’est plutôt l’homme qui est adaptable. Les effets de la numérisation sur les conditions de travail sont encore difficiles à appréhender. Il y a des bénéfices, par exemple pour les salariés en situation de handicap, ou la diminution des troubles musculo-squelettiques grâce aux robots. Mais la numérisation est aussi un vecteur de risques, liés par exemple au contrôle plus étroit de la productivité ou à la disponibilité tacite que laisse - à tort - entendre une connexion tendant à devenir permanente. Le télétravail témoigne ainsi de la porosité entre conditions de travail et de vie créée par le numérique.
Syndex - Les effets sont-ils les mêmes dans tous les secteurs ?
FR - La numérisation n’est pas implantée de la même façon selon les secteurs d’activité, en raison d’enjeux et de contraintes différentes (concurrence, utilisateurs, marketing, enjeux écologiques ou de santé publique). Néanmoins, le tertiaire pourrait être qualifié de pionnier pour la numérisation, tandis que l’industrie s’est d’abord focalisée sur la robotisation par exemple.
AGL - Les effets de la numérisation sont différents selon les secteurs, mais surtout selon les métiers et les activités. En production ou dans les activités administratives, le numérique est généralement introduit pour intensifier et améliorer la productivité. Dans l’ingénierie, le numérique transforme les outils des développeurs, les technologies et produits sur lesquels ils travaillent. Des métiers émergent et d’autres disparaissent, et l’organisation du travail n’a plus rien à voir. Anticiper les transitions, les reconversions possibles, et former en continu les salariés et les équipes sont des enjeux cruciaux.
Syndex - Quelles recommandations pour les élus du personnel ?
FR - Lorsque nous accompagnons un CHSCT dans la transformation numérique de l’entreprise, notre premier constat est que la direction n’investit pas la dimension organisationnelle que pourrait revêtir cette transformation. Il est donc important que les représentants des salariés soient associés le plus en amont possible aux projets. De même, ils doivent se faire une culture numérique, réfléchir à ses effets et à son développement, afin d’être un peu en avance sur les directions.
AGL - Suivre, questionner et évaluer les transformations sur toutes leurs dimensions (économique, sociale, stratégique et environnementale) est fondamental. Nous manquons tous de recul et de points de repère. Il est donc nécessaire de les construire. Avec des rendez-vous réguliers, il est possible de mesurer les écarts entre les objectifs et la réalité. Cela ouvre un espace pour discuter des améliorations, construire ou enrichir un accord. La négociation sur la qualité de vie au travail est l’occasion de se donner quelques règles de fonctionnement.
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