LA GRANDE TRANSFORMATION NUMÉRIQUE
Afficher l'article en plein écranLe numérique a déjà considérablement transformé nos métiers et nos relations de travail, et des mutations d’ampleur sont encore à venir, notamment avec l’intelligence artificielle. Synonyme de destructions d’emplois, de précarisation et de contrôle renforcé sur les salarié·e·s, la digitalisation peut aussi fournir des outils d’organisation collective et d’émancipation. L’ampleur de la mutation demande un investissement de long terme pour armer les salariés face à ces défis, mais les engagements s’avèrent, pour le moment, insuffisants.
Depuis la création du web en 1989 et surtout l’entrée en 2007 dans l’ère du web 2.0 avec le lancement des smartphones et des réseaux sociaux, la digitalisation transforme en profondeur nos manières de travailler, de consommer et d’échanger. Le numérique s’introduit dans toutes les filières et bouleverse autant les processus de création de valeur que les organisations de travail ou les métiers. Les mutations à venir, avec l’intelligence artificielle et les objets connectés, seront d’ampleur. Dans un avenir lointain mais possible, les véhicules autonomes pourront remplacer les chauffeurs de taxis et les chauffeurs routiers, les drones se substitueront aux livreurs du dernier kilomètre, tandis que les robots réaliseront des diagnostics médicaux, des conseils juridiques ou encore des articles de presse.
UBÉRISATION
En l’espace d’une poignée d’années, le numérique a fragilisé des modèles d’affaires et des entreprises bien implantées du commerce, du tourisme, des médias ou encore des télécommunications. Les moteurs de recherche et les réseaux sociaux ont capté une partie des profits des éditeurs de presse tout en les rendant dépendants. La croissance spectaculaire d’Amazon a fragilisé les librairies, pour lesquelles fermetures de points de vente et plans sociaux se sont multipliés. Airbn’b, les sites de locations hôtelières ou encore les sites de location de voitures entre particuliers, sans détenir aucun actif, ont particulièrement affaibli le secteur du tourisme. Dans les communications, des acteurs comme Whatsapp et Skype ont contraint les opérateurs téléphoniques à s’adapter à une concurrence nouvelle et renforcée. Ces exemples présentent un point commun : les bénéfices sont captés par une entreprise numérique dépourvue d’actifs propres au secteur concerné (hôtel, infrastructure télécoms, flotte de taxis, etc.), qui emploie un nombre de salarié·e·s limité au regard de son chiffre d’affaires, qui connaît une valorisation boursière titanesque et qui, bien souvent, profite de son caractère « immatériel » pour localiser ses bénéfices à l’abri du fisc…
TRANSFORMATION DES ENTREPRISES TRADITIONNELLES
Au-delà de ce phénomène communément appelé « ubérisation », la numérisation transforme les entreprises « traditionnelles » : automatisation des tâches, digitalisation des process et des produits, transformation des relations de travail dans un monde de plus en plus connecté. En France, comme en Allemagne, les États sont à l’origine de plans destinés à susciter et accompagner la transformation numérique de leurs industries (Industrie du futur en France, Industrie 4.0 en Allemagne), étape jugée incontournable pour rétablir la compétitivité des entreprises et assurer le maintien d’activités industrielles sur le territoire national. Dans ces entreprises, la transformation numérique concerne les services au client, mais aussi d’autres pans de leur activité : tâches administratives, production, maintenance, R&D, chaîne d’approvisionnement, etc. où les robots et les logiciels remplissent un nombre croissant de tâches. Ainsi, dans les services financiers, des banques testent les robots humanoïdes pour l’accueil des clients dans les agences et, sur Internet, les chatbots assument une partie de la relation client. Parallèlement, les outils de calcul et de gestion de données (trading haute fréquence, robo-advisor) deviennent plus que des auxiliaires dans la gestion des actifs financiers.
TRANSFORMATION DE L’EMPLOI
La possibilité d’automatiser certaines tâches constitue une source d’inquiétude réelle pour de nombreux emplois salariés. Plusieurs études ont cherché à déterminer au niveau macro-économique combien d’emplois pourraient être concernés. Malgré des projections différentes, tous ces travaux s’accordent sur le fait que les emplois détruits seront plus nombreux que les emplois créés. Selon une étude du cabinet Roland Berger, 42 % des métiers présentent un risque élevé d’automatisation et 3 millions d’emplois pourraient être détruits en France d’ici à 2025. Selon une étude¹ de France Stratégie de 2016, 15% des emplois sont potentiellement automatisables. Simultané- ment, une grande part des métiers évoluera, et de nouvelles compétences seront demandées aux salarié·e·s. Le numérique favorise également le développement de nouvelles formes d’emplois qui sortent du cadre du salariat avec par exemple la mise en relation sur des plateformes d’employeurs et de free lances. Automatisation, développement des micro-entreprises et du travail free lance conduisent à une polarisation du monde du travail : d’un côté, les métiers non automatisables, requérant une forte créativité, devraient gagner en rémunération, de l’autre de plus en plus de personnes alterneront périodes de chômage et contrats précaires.
NOUVEAUX MÉTIERS
Le numérique porte en lui la transformation des métiers. Le rapport The Future of Jobs du Forum économique mondial de Davos (2016) anticipe que 65 % des enfants qui entrent en primaire aujourd’hui exerceront des métiers qui n’existent pas encore. D’ici là, la formation et l’accompagnement des salarié·e·s sont à placer au cœur des enjeux liés au numérique, afin que les compétences des salariés soient en adéquation avec les celles demandées par les outils numériques. La gestion des parcours nécessite ainsi une attention particulière (voir encadré).
BOULEVERSEMENT DES RELATIONS DE TRAVAIL
Les effets « émancipateurs » du numérique au travail peuvent s’illustrer dans des méthodes de travail plus collaboratives, horizontales, découlant d’une communication plus directe, d’une responsabilisation croissante des salarié·e·s et d’un décloisonnement des tâches. Le télétravail offre également des possibilités de mieux concilier vie privée et vie professionnelle. Cependant, ces éléments ne doivent pas évacuer les questions que posent ces nouvelles pratiques. Le travail s’intensifie avec la multiplication des canaux de communication et la possibilité d’évaluation et de reporting permanents. Dans certaines entreprises, les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle se brouillent en raison d’une injonction à être disponible en permanence. (Voir Regards croisés p.6). Face à ces profonds bouleversements, notre société connaît aujourd’hui une défaillance institutionnelle : les institutions de régulation et de contrôle ne sont plus adaptées au nouveau paradigme et ne s’avèrent pas efficientes pour lutter contre la précarisation croissante des travailleurs·euses. Au sein de l’entreprise, le dialogue social ne doit pas être négligé au prétexte que les effets du numérique restent indéterminés. De même, de nouvelles protections et de nouveaux dispositifs de formation sont à imaginer pour protéger les travailleurs·euses et les outiller face aux changements. Enfin, nous ne pouvons faire l’économie d’une réflexion globale sur le partage du travail dans un contexte de menace sur l’emploi.
Comment préserver la capacité d’évolution des salarié·e·s ? |
Les métiers et les compétences évolueront nécessairement dans les entreprises touchées par la numérisation. Pour anticiper ces évolutions, l’employeur doit engager tous les 3 ans une négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels – GEPP (entreprises de plus de 300 salarié·e·s). L’entreprise doit identifier les métiers menacés, en développement, en tension, etc. résultant de ses choix stratégiques sans attendre de savoir exactement ce que seront les métiers futurs.
L’accord GEPP vise la mise en place d’une gestion des emplois et des compétences associée à des mesures d’accompagnement (formation, mobilité, abondement du compte personnel de formation, validation des acquis de l’expérience, etc.) et ainsi veiller à l’employabilité de chacun·e des salarié·e·s, dans ou hors l’entreprise. Il doit permettre des parcours professionnels et de qualifications pour les CDI mais aussi pour les CDD (y compris les stagiaires), pour les salarié·e·s à temps partiel, les jeunes, les plus âgé·e·s car tous·tes seront concerné·e·s par la numérisation, avec des évolutions de métiers, de tâches, des organisations et des conditions de travail.
Les sous-traitants doivent aussi être informés des négociations puisque les orientations stratégiques auront des répercussions sur leur activité et donc leurs métiers, leur niveau d’emploi et les compétences et qualifications nécessaires à terme.
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