Crise du Covid-19 : impacts et enjeux pour le transport routier de marchandises
Afficher l'article en plein écranOn a tous à l’esprit la détresse des chauffeurs routiers devant les stations d’autoroute fermées pendant le confinement. Fortement mobilisé pour la livraison des denrées alimentaires et des médicaments, le transport routier de marchandises a néanmoins subi la crise sanitaire et l’arrêt de la plupart de ses secteurs économiques clients.
Il est vrai que son activité (-25% en avril au périmètre de l’Union européenne) a baissé dans des proportions moindres que le transport aérien (-90%) ou le transport de voyageurs (-75%).
Cependant, la crise du Covid-19, et ce qu’elle a impliqué de perte de chiffre d’affaires et de surcoûts à absorber, succède aux grèves de décembre 2019 qui avaient déjà ralenti l’activité.
En France, la FNTR (Fédération nationale du Transport routier) a réalisé, de mi-mars à mi-juin, des enquêtes régulières auprès de plus de mille entreprises de transport routier de marchandises. Leur analyse permet d’apprécier l’impact du confinement et plus globalement de la crise sanitaire sur ce secteur, mais aussi d’identifier les enjeux auxquels il devra faire face dans les prochains mois.
Un camion sur deux n’a pas roulé pendant le confinement
Le trafic routier de marchandises, fortement réduit pendant le confinement, est reparti progressivement à la hausse à partir de mai.
En mars et avril, moins de 30% des entreprises de transport routier de marchandises ont arrêté totalement leur activité, mais près de 85% d’entre elles ont eu au moins un arrêt partiel. Durant ces deux mois, plus de 50% des camions sont restés à l’arrêt. Avec les levées partielle (11 mai) et étendue (2 juin) du confinement, 40% puis 70% des entreprises de transport routier de marchandises ont repris tout ou partie de leur activité.
LES PETITES ENTREPRISES PLUS TOUCHÉES. Si la dynamique réduction d’activité pendant le confinement puis reprise à sa sortie est nette dans l’ensemble du secteur, le creux a été plus limité pour les grandes entreprises du secteur. Les petites structures ont au contraire durement traversé la période : 36% des entreprises de moins de 10 salariés étaient totalement à l’arrêt, contre seulement 13% de celles de plus de 250 salariés.
PERTES DE CHIFFRE D'AFFAIRES. Le confinement concentre l’essentiel des pertes de chiffres d’affaires du secteur. Pour plus des trois quarts des entreprises, la baisse a dépassé les 25% en mars et avril. Après le déconfinement partiel, c’était encore le cas pour environ 40% d’entre elles.
Ces pertes ont pour origine l’arrêt de l’activité chez une majorité des clients. Cependant, toutes les entreprises n’ont pas été touchées de la même façon. En effet, 21% des entreprises ont perdu plus de 75% de chiffre d’affaires hors taxes sur la période de confinement. Les moyennes et grandes entreprises, plus solides financièrement avec une clientèle diversifiée, ont limité les pertes de chiffre d’affaires (-44% pour les entreprises de plus de 250 salariés, contre plus de 50% pour les très petites entreprises de moins de 10 salariés).
Les 3 secteurs les plus touchés pendant cette période d’arrêt de l’économie ont été le transport de produits automobiles (92%), le déménagement (75%) et la livraison de meubles (75%). A contrario, les 3 secteurs les moins affectés ont été le transport des animaux vivants (91% des entreprises de transport ont continué leur activité), le transport alimentaire (71%), les produits médicaux, pharmaceutiques et cosmétiques (67%). Cela révèle toute l’hétérogénéité de l’impact de la crise sanitaire sur les entreprises de transport routier des marchandises et une véritable dépendance vis-à-vis du client.
Les surcoûts du confinement fragilisent les salariés
Désorganisation, kilomètres à vide, mesures sanitaires, etc. font croître les coûts assumés par les entreprises du secteur, notamment les plus petites, alors que les pertes de chiffre d’affaires ont été sévères durant le confinement. Avec quelles conséquences à venir pour l’emploi ?
D'après l’enquête réalisée par la FNTR en mai dernier, l’augmentation des coûts directs est de 2,5 % pour les entreprises de plus de 250 salariés, alors qu’elle atteint 8%, voire 11% pour les entreprises de moins de 20 salariés, plus sensibles à la désorganisation causée par le confinement
SURCOÛTS. Personnel de conduite à remplacer, plans de transport à revoir et retours à vide de camions : organiser le travail a été le principal enjeu des transporteurs pendant la crise sanitaire. Ils ont aussi enregistré des surcoûts directs liés à la protection des salariés (fourniture de gels, désinfectants, masques, aménagement des lieux de travail) et à l’exploitation (heures supplémentaires, travail du dimanche). Or, en raison de la surcapacité de transport existante, ces surcoûts n’ont pas été refacturés aux clients, hormis à très faible niveau et ponctuellement sur les produits alimentaires.
Les enquêtes de la FNTR montrent que les difficultés mentionnées par les directions pendant le confinement se sont estompées avec la reprise de l’activité chez les clients. En revanche, les difficultés de chargement et de livraison persistent, et la dégradation significative des conditions de travail des conducteurs fait son apparition dans l’enquête de juin. Une telle organisation du travail en mode dégradé pèse sur la productivité des entre- prises et maintient des coûts directs élevés. Si cela devait durer, les conséquences pour les entreprises les plus fragiles du secteur pourraient se faire sentir dès l’automne.
PROFITABILITÉ EN BAISSE. Deux autres facteurs cités par les enquêtes de la FNTR s’avèrent lourds de conséquence pour la profitabilité des entreprises : la progression de la part des kilomètres à vide et la pression des clients sur les prix. Si la hausse des kilomètres à vide était importante dans l’enquête de mai (+21%), elle diminue nettement en juin (+10%), avec la reprise d’activité. À voir si cette atténuation se poursuit après l’été. En revanche, la part des entreprises rencontrant des pressions sur les prix en raison d’un marché en surcapacité est en progression significative entre mai (28%) et juin (33%). Va-t-on vers une concentration plus marquée du secteur ? En d’autres termes, les petites et moyennes entreprises vont-elles perdurer dans le temps ?
SALARIÉS FRAGILISÉS ? Alors que seuls 15% des salariés ont été en activité partielle en mai et 4% en juin, un tiers des directions interrogées sur leur estimation des conséquences de la crise sanitaire sur l’emploi envisagent des réductions d’effectif (enquête FNTR de juin). Parallèlement, 10% des directions identifient des difficultés de recrutement pour le secteur dont les conditions de travail et les salaires sont peu attractifs.
Dans ces conditions, des accords de performance collective (APC) sont-ils à prévoir dans le secteur du transport routier de marchandises ? L’opposition entre les réductions d’effectifs envisagées pour améliorer les performances et les difficultés actuelles de recrutement pourrait être favorable à de telles négociations. Face aux tensions sur les coûts directs liées à la crise sanitaire, à la pression des clients sur les prix et à une activité qui repart à la hausse, les directions des grandes et moyennes entreprises du secteur pourraient saisir les opportunités offertes par ces accords (aménagements de la durée de travail et de la rémunération) pour maintenir les marges et redresser leur profitabilité en évitant de recourir aux licenciements.