Lip, Syndex, mémoire commune
Charles Piaget et les ouvriers de LIP ont mené le combat contre la fermeture de leur usine à Besançon en 1973. A leurs côtés, Syndex a démontré que LIP était viable.
« Lip, c’est fini ! » décrète le Premier ministre Messmer en octobre 1973 exaspéré par le combat des ouvriers de LIP à Besançon qui tentent depuis des mois, avec une multitude de soutiens à travers tout le pays, de sauver leur usine et leurs emplois. Un combat hors normes (Lire le récit dans L’Histoire, ci-contre), unique par ses acteurs et son déroulement, dont la mémoire reste vive et suscite encore films « Lip, l’imagination au pouvoir » en 2007, ou BD « Lip, des héros ordinaires » en 2014. Plus de 40 ans après, Charles Piaget, délégué syndical CFDT à l’époque, est venu le 5 mai dernier débattre avec Damien Vidal, le dessinateur de la BD et témoigner devant les membres de Syndex du combat qu’ils ont mené alors.
Elise Henry, de la librairie Le Rideau rouge et Jérôme Barthe, directeur de Syndex, ont accueilli Charles Piaget en rappelant une autre originalité du combat : la présence aux côtés des salariés de LIP d’une équipe d’experts Syndex qui ont su montrer, sur la base de documents rassemblés par les salariés, la viabilité de l’entreprise (Lire la « Pré-étude Syndex » de 1973). Viabilité que les salariés ont démontrée dans la pratique et affichée à la porte de l’usine : « On produit, on vend, on se paie » .
Charles Piaget raconte :« Ce qui arrive à Lip en 1973 est classique. L’entreprise grossit jusqu’à 1 000 personnes. Mais la concurrence est devenue très forte sur la qualité, les prix. Lip s’associe pour grandir avec Ebauches SA, un Suisse qui a d’autres projets que d’aider Lip à gagner des parts de marché. Ebauches SA n’avait pas besoin de Lip, était opposé à notre logique. L’affrontement des deux logiques a duré près d’une année. Puis on s’est battu pendant quatre années pour essayer de faire vivre le projet. Le patronat a décidé de faire disparaître cette expérience » .
Qu’est-ce qui a rendu possible une telle mobilisation des salariés ? « Il faut déjà être combatif rien que pour faire appliquer la loi dans l’entreprise. Il faut faire un grand collectif pour se battre. Au début, les gens n’acceptaient pas de se rassembler. Il a fallu 15 ans de luttes pour s’organiser. On était syndiqués à 5 % au début, 50 % en 73, 70 % à la fin. En 1973, on avait avancé terriblement. Le collectif était en place. Nous étions à « 90-10 » : 90 % pour le collectif et 10 % pour les réunions avec la direction et l’étude des dossiers » .
Quelle était la place des femmes dans le conflit ? « On s’est battu pour favoriser les OS femmes, obtenir des augmentations. Quand on parle des autres à leur place, on ne sait pas. Il faut les faire parler. On a poussé pour que les femmes prennent des responsabilités, pour qu’elles parlent en leur nom. Dans les familles, c’était un problème. A partir de 1968, on a vu apparaître deux noms sur les boîtes à lettres quand on distribuait des tracts. La BD montre bien le type de famille de l’époque. Quand on a parlé d’autogestion, il a fallu passer à l’acte dans nos familles. On ne l’avait pas prévu, pas demandé » .
Quels modes d’action pourraient voir le jour maintenant ?« Les nouveaux modes ? On les découvre au cours des assemblées. Il faut gagner les esprits ! Une idée a surgi de la discussion un jour, par morceaux : le serpentin. Il s’agissait de convaincre les gens un à un. De 200 au départ, on s’est retrouvé à 75 %. On a bloqué l’atelier d’expédition, créant ainsi un rapport de forces beaucoup plus important » .
Avec Damien Vidal, Charles Piaget a évoqué ses souvenirs.« Le dessin, ce n’était pas dans le style syndical. Mais on a appris la force du dessin… Heureusement que ce n’est pas nous qui faisons les films et la BD qui seraient chiants. Là, on accroche, on vit beaucoup plus intensément comment on résout les problèmes. Chacun son métier ! » .