Transformation numérique et droit à la déconnexion : quels enjeux ?
Afficher l'article en plein écranL’accès à l’information partout, tout le temps et pour tous cause un réel problème dans la vie de tous les jours. En effet les salarié·e·s ont de plus en plus de mal à se détacher de leur travail et en dehors des locaux et des horaires de travail, se déconnecter est devenu une mission presque impossible.
De quoi parle-t-on ?
Inspiré du rapport sur « la transformation numérique et la vie au travail », réalisé par Bruno Mettling dans le cadre d'une mission pour le ministère du travail, le droit à la déconnexion arrive à point nommé pour les salariés dans une société où l'on estime à 15 milliards le nombre d’objets connectés à internet (selon l’Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe). Ce principe de droit à la déconnexion exposé dans l’article 55 de la Loi Travail, (ou loi « El Khomri »), dans son chapitre II « Adaptation du droit du travail à l’ère du numérique » Son objectif est d’aider les salarié·e·s à concilier vie professionnelle et vie personnelle, et de lutter contre le burn-out. En effet, la croissance de l'utilisation des outils numériques en dehors des heures de travail favorise le transfert de charges administratives, la multiplication des courriels, SMS et autres notifications via les Réseaux Sociaux, et donc une charge de travail toujours plus importante.
Dans l'ère du numérique, le travail est-il un soulagement ?
Des études ont montré que la transformation numérique présente des atouts pour le salarié comme pour l’entreprise. Pour le salarié, il faut noter la possibilité de recourir au télétravail dans certains cas (voir notre article sur le télétravail). Le travailleur gagne du temps de déplacement et en flexibilité quant au choix de son environnement de travail. Le travail devient un soulagement du fait de la baisse de tâches répétitives et contraignante, et la possibilité de mener des missions collaboratives en toute autonomie. D’ailleurs, 60 % des cadres interrogés dans un sondage mené par IFOP en mai 2016, estiment que les nouvelles technologies améliorent leur qualité de vie au travail. Quant à l’entreprise, la baisse des coûts et accroissement de la capacité de traitement des données, la fluidité de l’information et l’effacement des distances sont tout simplement favorisées par la transformation numérique.
Toutefois, ces évolutions rapides — dues en partie aux exigences du marché, lui-même fortement influencé par la croissance des TIC — interrogent plusieurs aspects.
- La frontière entre vie professionnelle et vie privée
- Les fondamentaux du droit du travail : unité de lieu, unité de temps, lien de subordination
- Les modèles organisationnels (modes projets, fonctionnement en communautés, développement des échanges virtuels versus un collectif de travail physique, télétravail, flex-offices, stations de travail mobiles…
- Et plus largement, la culture d’entreprise et les relations sociales dans l’entreprise
La frontière vie professionnelle - privée est une question pas du tout tranchée, cette frontière reste encore floue depuis le temps qu’on en parle. Cela peut ne pas être lié à la multiplicité croissante des outils connectés qui conduit sans doute à l’hyper-connexion, car en réalité le sujet est beaucoup plus vaste (par exemple voir ses collègues dans un cadre privé). Pour beaucoup d’experts, savoir se déconnecter relève d’une démarche individuelle complexe dont l’appropriation prend du temps et peut varier d’un individu à l’autre. Encore faudrait-il apprendre que l'excès d'information n'est pas un gage d'efficacité ? Se déconnecter nécessite une prise de conscience et un changement de comportement de l’intéressé·e. Autrement dit, le passage à l'acte individuel ne peut socialement se faire en solitaire, il faut une démarche collective pour aboutir à un résultat concluant.
Les mutations numériques dans l’organisation du travail sont-elles contrôlées ?
Bon nombre d’entreprise par soucis de se conformer au marché ou de venir à bout de leur cahier de charges, négligent parfois sans en prendre conscience, les risques psychosociaux et autres formes de maladies liées au travail qu’encourent les salariés du fait de leur connexion en permanence. La transformation numérique dans l’organisation du travail n’est malheureusement pas bien contrôlée. On assiste très souvent à une augmentation du volume de dossier avec des délais de traitement plus court conduisant à une baisse de la productivité du salarié. Cette dernière est aussi liée au fait que les salarié·e·s passent presque 30% de leur temps à gérer leurs E-mails. D'ailleurs, une étude de la DARES montre que : 68% des salarié·e·s ressentent l’exigence de prendre des décisions dans un laps de temps plus court, et 48% déclarent travailler dans l’urgence. Ce qui peut vraisemblablement dégrader la qualité des réponses apportées. S'y ajoute cette non productivité, une baisse de l'innovation. L'esprit arrive à saturation et n'est plus disponible pour des temps de réflexion et d'innovations.
Une situation d’instabilité pouvant affecter la qualité de vie du salarié au travail, et au-delà, perturber sa vie privée. Et pourtant, les résultats d’octobre 2017 du Baromètre OPE (l’Observatoire de l’équilibre des Temps et de la Parentalité en Entreprise) avancent dans son volet employeurs que 90% des entreprises prennent des mesurent pour aider leurs salariés à concilier leurs vies professionnelles, personnelle et familiale.
Les mode de collaboration et de régulation ont également évolué dans le sens où l'on assiste à une dépersonnalisation de la relation de travail au profit d’échange virtuels, des interactions directes moins fréquentes (notamment les échanges informels)… Enfin le salarié rencontre une difficulté du décompte de ses temps lorsqu'il n’est plus « sous le regard de l’employeur ».