Santé-social : la face inattendue de l’iceberg inégalités femmes-hommes
Afficher l'article en plein écranL’égalité professionnelle figure en tête des priorités apparentes du Gouvernement en matière sociale : transparence sur les écarts de rémunération, mise en place d’un index égalité professionnelle dans les entreprises de plus de 250 salarié·e·s en 2019. Cependant, des ambitions à la réalité il y a manifestement un fossé important. Le secteur santé-social ne fait pas exception et témoigne même d’une situation inattendue où le fait d’être majoritaires ne sert pas les femmes.
Pour les représentant·e·s des salarié·e·s, vouloir agir sur l’égalité professionnelle nécessite la prise en compte d’éléments qui freinent la mise en œuvre d’une réelle égalité. Comprendre les spécificités de leur secteur est déterminant quand il s’agit de conduire des actions. Cette publication revient sur les particularités du domaine sanitaire et social et explore les actions possibles des représentant·e·s des salarié·e·s.
Pas de régime de faveur pour les femmes
Largement féminisé, le secteur santé-social pourrait être le parfait reflet de ce qu’on observe dans les filières très masculines et faire la part belle aux femmes. Pourtant, l’analyse montre une situation à rebours de ce qui se produit dans d’autres secteurs où elles sont majoritaires.
Premier employeur privé français, le secteur santé-social rassemble 2 millions de salarié·e·s (hors fonction publique). 76,9% de ces salarié·e·s sont des femmes, face à une moyenne de 44,3% dans l’ensemble de l’économie. La répartition par catégorie socioprofessionnelle diffère de ce qu’on observe tous secteurs confondus. Ainsi, le secteur santé-social emploie une très faible part d’ouvri·er·ère·s (10,2%) et de cadres (8,4%) au regard des moyennes nationales. Inversement, il compte une part plus importante d’employé·e·s (50%) et d’intermédiaires (31%). Les femmes se retrouvent très majoritairement dans la catégorie employé·e·s. Elles ne sont en revanche que 7% à être cadres, une part plus faible que dans des secteurs très masculins tels que le transport (10%) ou la métallurgie (27%) !
TROIS SPÉCIFICITÉS DU SECTEUR CONDITIONNENT LES RÉMUNÉRATIONS.
Ces trois éléments jouent un rôle structurant dans la construction des rémunérations, ces dernières étant la manifestation la plus visible des inégalités hommes-femmes.
En premier lieu, le secteur sanitaire et social compte une large proportion de salarié·e·s à temps partiel, vecteur d’inégalité professionnelle : 37,4%. Par comparaison, la moyenne des 8 branches constituant notre échantillon ressort à 14%. Le temps partiel touche les hommes comme les femmes, même si ces dernières sont surreprésentées : 40,8% d’entre elles sont à temps partiel et 25,9% des hommes. Il existe des disparités par sous-secteur ; elles renvoient à l’organisation même des services et de l’activité propre à chaque structure.
À titre d’exemple, la situation n‘est pas la même entre l’aide à domicile et les établissements handicap.
En second lieu, la répartition des âges fait apparaître une population féminine plus jeune (moins de 30 ans) que dans les autres secteurs observés, et une population totale plus âgée (plus de 50 ans). Ce point vient interroger les possibilités de parcours au sein du secteur. La moitié de l’effectif a entre 30 et 49 ans.
Enfin, le secteur santé-social se distingue par une grande précarité : le taux de recours aux CDD, chez les femmes comme chez les hommes, est presque deux fois supérieur à la moyenne de notre échantillon. Sous réserve que cette donnée soit significative (la situation au 31 décembre ne reflétant pas nécessairement la réalité quotidienne), elle rend le secteur particulièrement précaire pour les salarié·e·s embauché·e·s sous ce contrat. L’importance des CDD soulève en corolaire la question de la politique de gestion des ressources humaines et des conditions de travail (absentéisme et taux de rotation).
DES FEMMES MOINS BIEN PAYÉES.
Ces caractéristiques conditionnent les rémunérations. Le secteur santé-social a le salaire moyen net mensuel le plus bas de notre échantillon, au regard des moyennes globales, féminines et masculines. Ce constat peut être étendu : peu importe le diplôme, les salaires du secteur sont parmi les plus bas de l’économie. De plus, quand bien même le secteur est très féminisé, l’écart de salaires entre les femmes et les hommes reste largement en défaveur des femmes : quand un homme gagne 100 €, une femme gagne 86 €. De manière inattendue, seule une des 7 branches de comparaison affiche un écart plus important : celle des plastiques, caoutchouc et combustibles.
Cet état de fait paraît surprenant dans un secteur où les femmes forment la large majorité de la population. En effet, il n’est pas rare de constater dans des entreprises très féminisées que l’écart soit en défaveur des hommes. Ce n’est pas le cas ici, quand bien même les conventions collectives applicables sont les mêmes pour les hommes que pour les femmes. Cependant, la surreprésentation des cadres hommes, réelle (même si elle tend à diminuer progressivement), n’explique probablement pas la totalité de l’écart.
Quelles actions entreprendre ?
L’égalité professionnelle entre dans le champ de compétences du CSE comme des organisations syndicales, à travers la consultation pour le premier et la négociation pour les secondes. Exploiter les informations est indispensable pour construire des actions adaptées à l’entreprise.
Pour les représentant·e·s des salarié·e·s, vouloir agir sur l’égalité professionnelle nécessite la prise en compte de champs multiples : de la formulation du besoin de l’entreprise lors du recrutement à la formation professionnelle, des composantes de la rémunération globale à la construction des parcours. La première étape paraît donc d’objectiver l’égalité professionnelle à travers différents leviers.
LE RÔLE DU CSE.
L’égalité professionnelle est un des 8 thèmes de la consultation annuelle obligatoire du CSE sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi. Dans ce cadre, le CSE peut se faire assister par un expert Syndex, qui l’aidera à déterminer la meilleure façon d’aborder le sujet lors de la consultation. Selon les situations, cibler quelques thématiques et hiérarchiser les sujets peut s’avérer nécessaire.
Les sources d’informations sont multiples : base de données économiques et sociales, rapport de situation comparée, bilan social. S’y ajoute désormais l’Index égalité, mis en place en 2019 dans les entreprises de plus de 250 salarié·e·s. Ce dernier nécessitera probablement une prise de recul entre des notes qui pourraient être supérieures à 75 /100 et la réalité qu’elles recouvrent. L’objectif pour les instances sera donc d’avoir le détail des indicateurs composant les indices. Dans un second temps, les représentant·e·s des salarié·e·s pourront prioriser les actions à mener pour réduire les écarts.
À ces différents champs s’ajoutent également les relations de travail et les relations sociales (sexisme, stéréotypes et culture des organisations, sensibilité au sujet « égalité professionnelle » de la direction, des salarié·e·s…).
ALIMENTER LES NÉGOCIATIONS.
Le travail sur l’ensemble de ces éléments a vocation à nourrir les organisations syndicales dans le cadre des différentes négociations. Que ce soit la négociation sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail, la négociation sur les rémunérations (ex-NAO), la négociation sur la gestion des emplois, des parcours et de la mixité des métiers, et sur tout autre accord dans lesquels l’égalité professionnelle ne doit pas être oubliée (temps de travail, formation, etc.).