L’hydrogène : atout ou mirage de la transition énergétique ?
Afficher l'article en plein écranL’hydrogène pourrait jouer un rôle majeur dans la transition énergétique. L’abaissement du coût de production de l’hydrogène vert et le développement d’infrastructures constituent les points clé pour généraliser son utilisation dans le mix énergétique et la mobilité.
Production : l’hydrogène s’obtient de 3 façons, mais toutes ne sont pas « propres »
Présent à l’état naturel, notamment dans l’eau, l’hydrogène est l’élément chimique le plus abondant sur terre. Pour le produire, il faut le séparer des éléments auxquels il est associé en utilisant une source d’énergie. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) recense trois moyens principaux de production. Le premier, le vaporeformage, consiste à produire de l’hydrogène via reformage d’un gaz, essentiellement du méthane, en réaction avec de la vapeur d’eau. C’est le procédé le moins coûteux mais il émet du CO2. Il représente 80 % de la production française d’hydrogène. Les deux autres moyens de production, l’électrolyse de l’eau et le biométhane (issu de la fermentation de la biomasse), produisent un hydrogène décarboné dont le coût est plus élevé.
Les 5 couleurs de l’hydrogène
- Hydrogène vert = par électrolyse de l’eau avec de l’électricité issue d’énergies renouvelables
- Hydrogène bleu = vaporeformage du gaz et captage de CO2
- Hydrogène gris = vaporeformage du gaz sans captage de CO2
- Hydrogène brun = gazéification du lignite
- Hydrogène noir = gazéification du charbon
Les usages de l'hydrogène
Aujourd’hui, l’hydrogène est essentiellement utilisé dans l’industrie pour le raffinage du pétrole, la production d’ammoniac et de divers produits chimiques. Dans une moindre mesure, il est utilisé dans la fabrication de composants électroniques.
Il peut également être mobilisé dans les véhicules électriques équipés d’une pile à combustible (PAC), transformant l’hydrogène en électricité et en vapeur d’eau. Comparée aux véhicules électriques à batterie lithium-ion, l’autonomie de ces véhicules serait plus importante (500-700 km) et le temps de recharge plus court (5 mn). Les freins actuels à son déploiement sont la constitution d’un réseau de stations-service hydrogène, les débats autour des questions de sécurité, la part d’hydrogène carboné dans la production globale et le prix des véhicules encore élevé.
Toujours dans le transport, la SNCF envisage de mettre en service des trains à hydrogène sur ses lignes ferroviaires non électrifiées qui fonctionnent au diesel (environ 50 % du réseau, un millier de trains régionaux concernés). L’Allemagne est un précurseur en la matière, puisque deux réseaux de transport régionaux sont déjà équipés de trains à hydrogène. En France, les premiers trains devraient être mis en service dès 2022. Le développement de ces trains « propres » – ils n’émettent que de la vapeur d’eau – constituerait ainsi une alternative à l’électrification des voies, plus coûteuse.
Enfin, l’hydrogène permet le stockage massif et intersaisonnier des excédents de la production électrique éolienne et photovoltaïque. Quand la production d’électricité issue des énergies renouvelables (EnR) est plus importante que sa consommation, l’excédent pourrait être utilisé pour produire de l’hydrogène par électrolyse de l’eau. Cet hydrogène renouvelable peut ensuite être reconverti en courant électrique ou valorisé dans le réseau gazier et se substituer à l’hydrogène carboné (procédé dit du « power to gas »). Il s’agit d’un levier important pour le développement des EnR et l’optimisation des réseaux. La France s’est donné comme objectif 7 GW de capacités installées dans le mix énergétique 2035.
Les points clés pour déployer la filière
Le développement de l’hydrogène repose dans un premier temps sur la diminution des coûts de production, à travers des économies d’échelle (baisse du prix des électrolyseurs par exemple) et en massifiant la production. Ensuite, il faut accéder à une électricité décarbonée à coût compétitif (poursuite de la baisse des coûts du solaire et de l’éolien) et, parallèlement, augmenter le prix du CO2. Cela permettrait une diminution de l’écart avec le prix de l’hydrogène carboné. Enfin, le déploiement de cette source d’énergie nécessite d’importants investissements. Les besoins financiers pour structurer la filière s’élèvent à 20-25 milliards de dollars par an d’ici 2030 au niveau mondial. A titre de comparaison, les banques investissent 650 milliards de dollars par an dans le pétrole, le gaz et le charbon.
Le plan hydrogène français
Le plan hydrogène français a été rédigé par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et l’Ademe à la demande du gouvernement en 2018. Doté de 100 M €, il a pour objectifs :
- la décarbonation de la production en favorisant l’hydrogène par électrolyse : 10 % de l’hydrogène produit en 2023, entre 20 et 40 % d’ici 2028 ;
- le stockage de l’électricité en développant des électrolyseurs dans des zones non interconnectées (ZNI) au réseau. RTE et Enedis sont chargés d’identifier les services et débouchés aux EnR dans les ZNI. Il faut également établir les conditions techniques et économiques acceptables d’injection d’hydrogène dans les réseaux de gaz ;
- l’augmentation de la part hydrogène dans le transport avec pour 2028 le développement d’une flotte de 20 000 à 50 000 véhicules légers, 2 000 véhicules lourds et 400 à 1 000 stations (à titre de comparaison, l’Allemagne envisage 60 000 voitures d’ici à 2022). L’équipement de flotte sera privilégié (tels les taxis Hype à Paris, première flotte de taxis à hydrogène au monde, plus de 100 véhicules à ce jour et 600 prévus avant fin 2020). Le plan prévoit également la substitution des trains diesel pour les lignes régionales.
Ce plan a le mérite de mettre le sujet sur le devant de la scène et de fixer des objectifs clairs en matière de politique hydrogène. Pour autant, les moyens alloués ne semblent pas à la hauteur des ambitions affichées. En effet, les 100 M € intègrent des enveloppes qui existaient au préalable, éclatées entre les budgets des ministères et des subventions au CEA et à des énergéticiens, par exemple. Il ne s’agit pas d’une création nette. Par ailleurs, le maintien dans le temps de ce budget ne semble pas garanti.
Les acteurs français
Parmi les énergéticiens, Air Liquide est le premier producteur mondial d’hydrogène qui constitue un axe majeur de son développement. EDF et Engie investissent dans la production et la distribution d’hydrogène, de même que leur filiale de services énergétiques respective, Dalkia et Engie Cofely, fournisseurs d’énergie aux industriels. Vinci et Air Liquide développent des projets d’électrolyse à haute température (EHT). Total mise lui aussi sur l’hydrogène, en lien avec sa volonté de réduire son empreinte carbone et d’augmenter la part de gaz dans son mix de production.
Parmi les équipementiers, ce sont surtout les fabricants énergétiques et automobiles qui sont concernés. Dans ce domaine, les Français sont un peu frileux, mais ils s’y mettent. Pour les unités de stockage et le power to gas, on notera la présence de GRTgaz, RTE, Engie, Gaz et électricité de Grenoble, Sylfen et McPhy. Faurecia, Michelin, de leur côté, ont signé un partenariat avec Synbio pour fabriquer des piles à combustible à destination des industriels automobiles. Ces piles sont utilisées notamment par le constructeur de bus à hydrogène Safra, qui rivalise avec les principaux constructeurs de bus à hydrogène sur un marché européen de niches en forte expansion (collectivités publiques) et plus prometteur que les véhicules individuels.
On notera que Michelin joue un rôle important au niveau européen en assurant la présidence de Hydrogen Europe (organisation patronale européenne de la filière hydrogène) et dans l’organisation patronale française Afhypac.
La recherche sur le processus d’électrolyse de l’eau est principalement menée par le CEA, dans le but d’augmenter le rendement énergétique et d’abaisser le coût de production. Le CEA travaille en partenariat avec des industriels, comme Saft.
L'hydrogène : atout ou mirage de la transition énergétique ?
La question s’est posée de la même façon pour la filière solaire ou éolienne il y a quelques années. La France est déjà en retard sur l’hydrogène par rapport au Japon, aux Etats-Unis ou encore à la Chine. Le ministre de l’économie allemand a annoncé début novembre leur ambition de devenir le numéro 1 mondial des technologies de l’hydrogène et la publication d’une stratégie d’ici la fin 2019. Si la France n’investit pas suffisamment sur le sujet aujourd’hui, nous nous retrouverons dépendants comme nous le sommes devenus sur les batteries.
On notera que les derniers progrès en recherche sur la production d’hydrogène vert à faible coût semblent être prometteurs, et lèverait un obstacle clé pour la filière.
La question qui se pose aujourd’hui n’est pas quel est le risque à investir dans l’hydrogène mais plutôt quel est celui à ne pas investir. Autrement dit, la France peut-elle prendre le pari d’une transition énergétique qui n’inclurait pas l’hydrogène dans son mix énergétique ?
Pour aller plus loin : Etude Afhypac Hydrogen council et Mc Kinsey sur l’évaluation de l’impact emploi à moyen et long terme de la filière hydrogène en France :
http://www.afhypac.org/documents/actualites/pdf/CP%20Etude%20Hydrogene_AFHYPAC_VDEF.pdf
http://www.afhypac.org/documents/actualites/pdf/Afhypac_Etude%20H2%20Fce_VDEF.pdf