Le Mag n°5 - Regards croisés : Suicide : mener l’enquête pour engager des mesures de prévention
Afficher l'article en plein écranInterview croisée de Marianne Cattani, intervenante SSCT Syndex, spécialiste des enquêtes suicide, et Franck Berne technicien en assurance, élu cfdt, secrétaire du CE et représentant syndical au CHSCT.
Syndex - Pourquoi enquêter quand un·e salarié·e a mis fin ou tenté de mettre fin à ses jours ?
MC - Une enquête interne doit obligatoirement avoir lieu quand un lien avec la sphère professionnelle est soupçonné. Celle-ci ne se substitue pas aux enquêtes de la CPAM, de la CARSAT ou des services de police et de gendarmerie, qui poursuivent d’autres objectifs. L’enquête du CSE est une enquête de prévention. Elle vise à comprendre ce qui s’est passé pour prévenir les risques professionnels. Son objectif n’est donc pas d’expliquer le suicide, qui est un acte profondément intime, complexe et multifactoriel, ni de rechercher d’éventuels coupables, mais de déterminer les éventuelles causes professionnelles qui ont pu contribuer à l’altération de la santé mentale et physique du salarié susceptible de le conduire jusqu’au suicide.
FB - Lorsque le suicide sur lequel nous avons enquêté avec Syndex est survenu, nous avons été choqués, pris au dépourvu. L’acte n’a pas eu lieu dans l’entreprise, mais
des éléments suggéraient un lien avec le travail. Une cellule de crise a été mise en place, réunissant la direction et les élus. Côté instance, nous voulions savoir si des éléments professionnels avaient pu interférer. La direction quant à elle souhaitait lever toute ambiguïté sur la responsabilité de l’entreprise. Tout le monde était d’accord : l’enquête ne pouvait pas être menée en interne.
Syndex - Comment se déroule une enquête ?
MC - La commission paritaire qui conduit l’enquête peut choisir d’être accompagnée par un préventeur institutionnel ou par un expert habilité comme Syndex. La plupart du temps, les élus font appel à nous parce qu’ils ne veulent pas mener seuls une enquête généralement complexe, lourde d’affects et avec de forts enjeux. La démarche que nous utilisons à Syndex est inspirée de la méthodologie de l’arbre des causes, employée pour analyser les causes d’un accident physique du travail. Elle consiste à remonter l’enchaînement des événements jusqu’au fait ultime, le suicide du salarié. Cette méthodologie s’appuie sur les témoignages des collègues et responsables hiérarchiques de la victime : on cherche en particulier à comprendre ce qui a varié ou dysfonctionné dans l’activité de travail de la personne, les problèmes qu’elle a rencontrés et les solutions qu’elle a pu trouver. L’arbre des causes porte ainsi le diagnostic et aide à déterminer les mesures à prendre pour éviter que cela se reproduise.
FB - L’émotion et le manque de formation rendent difficile la conduite de tels entretiens par l’interne. C’est pourquoi nous avons fait appel à Syndex. Il est nécessaire d’avoir l’aide d’un professionnel, d’un regard extérieur, pour trier les informations et prendre du recul. Les salarié·e·s interviewé·e·s ont par ailleurs apprécié d’avoir la possibilité de s’entretenir avec l’expert seul.
Syndex - Quel est l’intérêt de cette démarche pour les élus ?
MC - Cette méthode présente l’avantage de fournir un langage commun qui permet de sortir des jugements de valeur et des opinions générales. La discussion
peut alors s’engager sur des mesures généralisables à l’ensemble des salarié·e·s et alimenter la démarche générale de prévention des risques psychosociaux. Il appartient ensuite aux acteurs de la prévention dans l’entreprise de traduire les pistes d’actions en plan opérationnel.
FB - Tout au long de l’enquête, puis au stade de l’analyse et des conclusions, les échanges entre la commission et l’expert ont été continus. Cela a permis de bénéficier
des approches complémentaires de chacun et l’élaboration d’un diagnostic partagé. J’aurai aimé que les élus comme l’expert soient associés à sa transformation en plan d’actions. La direction en a malheureusement décidé autrement.