La rémunération des ingénieurs dans les secteurs des services informatiques, de l'ingénierie et du conseil

> Périmètre de l’étude

La convention collective des Bureaux d’Etudes Techniques, des Cabinets d’Ingénieurs-Conseils, et des Sociétés de Conseils (IDCC n°1486) regroupe 5 secteurs différents et une vingtaine de codes NAF. Ainsi, 52% des salariés de cette branche travaillent dans le secteur du Numérique, 18% dans celui du Conseil et des études, 28% dans celui de l’Ingénierie, et 2% dans celui de l’Evénement. L’étude  réalisée porte sur les ingénieurs et scientifiques travaillant pour les secteurs des services informatiques, de l’ingénierie et du conseil.

Une population spécifique

Dans les sociétés de services informatiques et les sociétés d’ingénierie ou de conseil, l’âge médian est de 37 ans, contre 43 ans pour l’ensemble des ingénieurs : la population étudiée est donc relativement jeune. De plus, ces secteurs sont particulièrement masculinisés. En effet, 65% des salariés relevant de la convention collective n°1486 sont des hommes, contre 55% dans l’ensemble des conventions collectives de branche. Enfin, les salariés franciliens sont surreprésentés dans les secteurs étudiés par l’IESF, avec 41% des individus travaillant en Ile-de-France, contre 24% pour l’ensemble de la population salariée en France.

Les déterminants de la rémunération

Les données sur les salaires étudiées ici sont rapportées à un équivalent temps plein, et hors paiement des heures supplémentaires. Dans les secteurs étudiés pour cette étude, les rémunérations varient selon de nombreux facteurs.

La localisation est un facteur déterminant des ingénieurs des secteurs étudiés :

• le salaire médian perçu en Île-de-France est supérieur d’environ 30% au salaire médian en région ;
• le salaire médian à l’étranger est supérieur d’environ 50% à celui de la France : à l’étranger, le salaire médian atteint près de 100 000 euros annuels pour les sociétés de services informatiques.

L’âge joue également dans la répartition des salaires perçus. Dans les sociétés de services informatiques, les salaires augmentent très rapidement en début de carrière, avec une progression de 30% du salaire médian entre la tranche des 25-29 ans et celle des 30-34 ans.

La vitesse de progression se réduit avec l’âge, la hausse du salaire médian étant de seulement 9% entre la tranche des 50-54 ans et celle des 55-59 ans.

Dans les secteurs de l’ingénierie ou du conseil, l’augmentation est plus progressive tout au long de la carrière. Par ailleurs, si dans les sociétés de services informatiques les salaires médians sont plus élevés en début de carrière que ceux des autres secteurs où exercent les ingénieurs et scientifiques, ils sont plus bas à partir de 50 ans. Pour le secteur des sociétés d’ingénierie et de conseil, les salaires médians sont plus bas que dans les autres secteurs pour l’ensemble des tranches d’âge considérées.

D’autre part, le degré de responsabilité des salariés impacte significativement les rémunérations dans ces secteurs. Les salariés exerçant des responsabilités stratégiques, financières ou décisionnelles ont des salaires médians plus élevés de 50% environ par rapport aux salariés qui n’ont pas ces responsabilités.

De la même manière, dans les sociétés de services informatiques, diriger un projet dont l’équipe associée est constituée de plus de 500 personnes implique un salaire médian plus de deux fois supérieur (+110%) par rapport à la direction d’un projet réunissant une équipe de moins de 10 personnes.

Dans les sociétés de services informatiques et les sociétés d’ingénierie et de conseil, le temps de travail fait varier les salaires bruts médians pour un équivalent temps plein du simple au double entre les salariés travaillant moins de 35 heures et ceux travaillant plus de 50 heures par semaine. Ces écarts sont d’autant plus importants quand les salariés travaillent dans le secteur des sociétés informatiques.

Si les salaires médians progressent donc rapidement avec la hausse du temps de travail dans les sociétés de services informatiques et les sociétés d’ingénierie et de conseil, il est essentiel de noter que pour les temps de travail inférieurs à 39 heures, les salaires médians y sont plus défavorables que dans les autres secteurs.

Enfin, le sexe des salariés constitue toujours une source importante d’écarts de salaires chez les ingénieurs et scientifiques du secteur.

Si, en début de carrière, les écarts de salaires médians sont relativement faibles entre les femmes et les hommes, ils s’accroissent rapidement et, en milieu et fin de carrière, les écarts en défaveur des femmes peuvent aller jusqu’à 30% du salaire médian par tranche d’âge.

D’après les données recueillies, les femmes sont sous-représentées dans les postes à  responsabilité dans le secteur considéré. Par ailleurs, à postes comparables en termes de responsabilités, de management d’équipes, de prise de décisions et d’expertise technique, les salaires médians des femmes sont systématiquement inférieurs à ceux des hommes.

Cela peut s’expliquer par le fait que les femmes sont surreprésentées dans les postes à temps partiel ou dans les temps de travail d’entre 35 et 39 heures par semaine, par rapport aux hommes, quant à eux surreprésentés dans les temps de travail supérieurs à 45 heures par semaine.

Ces éléments ramènent à la notion de « travail cupide » (greedy work), mise en avant par Claudia Goldin, prix Nobel d’économie 2023. Cette notion correspond à un travail rémunérant de façon disproportionnée (au-delà des seuls écarts de temps de travail) les personnes mettant une plus grande partie de leur temps à disposition de leur emploi, en travaillant un grand nombre d’heures, possiblement les soirs et les week-ends, par rapport aux  personnes ayant une moindre flexibilité dans leurs heures de travail, notamment en raison des contraintes qui s’imposent à elles.

Les recherches de Claudia Goldin montrent que, compte tenu d’un certain nombre d’attentes sociétales pesant essentiellement sur les femmes, celles-ci sont les premières pénalisées par ces dynamiques de « travail cupide » : là où les écarts de salaires en défaveur des femmes sont faibles en début de carrière, ils tendent à s’accroître de façon significative 10 ans après l’obtention du diplôme, à un âge correspondant généralement à la naissance du premier enfant.

Si Claudia Goldin indique que ces logiques tendent à s’atténuer dans un certain nombre de secteurs, elles restent très prégnantes dans plusieurs secteurs spécifiques, notamment la finance mais aussi le consulting, ce que les tendances constatées ici semblent attester pour le secteur des sociétés de services informatiques et les sociétés d’ingénierie ou de conseil. En témoignent :

• la forte corrélation entre nombre d’heures travaillées et niveau de salaire ;
• des écarts de salaires de plus en plus désavantageux pour les femmes à mesure de l’avancée dans la carrière, couplée à une sous-représentation des femmes dans les temps de travail supérieurs à 40 heures, et plus particulièrement au-delà 45 heures par semaine.

POINTS DE VIGILANCE POUR LES CSE

ÉVOLUTION DE CARRIÈRE ET RÉMUNÉRATIONS

En début de carrière, par rapport aux autres secteurs où exercent les ingénieurs et scientifiques, les salaires sont généralement plus élevés dans les sociétés de services informatiques, avec une progression des salaires particulièrement forte jusqu’en milieu de carrière. La tendance s’inverse toutefois en fin de carrière, où les salaires sont généralement plus élevés dans les autres secteurs. Pour les sociétés d’ingénierie et de conseil, les salaires médians sont plus bas que dans les autres secteurs pour l’ensemble des tranches d’âge passés 25 ans.

=> Une attention particulière doit être accordée à la valorisation des parcours des salariés en fin de carrière, plus encore que dans les autres secteurs.

TEMPS DE TRAVAIL ET RÉMUNÉRATIONS

Le temps de travail est un déterminant capital du salaire (à équivalent temps plein) dans les sociétés d’ingénierie et de conseil, et plus encore dans les sociétés de services informatiques, la progression des salaires y étant très forte avec la hausse du temps de travail.

=> Les salaires progressent bien plus fortement avec le temps de travail dans ces deux secteurs que dans les autres secteurs où exercent les ingénieurs et scientifiques. Une vigilance particulière doit donc être accordée au respect de la loi et des accords sur le temps de travail.

ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE ET RÉMUNÉRATIONS

Relativement faibles en début de carrière, les écarts de salaires entre femmes et hommes s’accroîssent significativement à mesure de la progression de la carrière, avec un lien manifeste avec le nombre d’heures travaillées : les salaires sont bien plus hauts pour les temps de travail élevés où les femmes sont bien moins représentées. Un signe que les femmes sont particulièrement pénalisées par les attentes importantes en termes de disponibilité qui semblent peser sur les salariés dans le secteur ?

=> Les indicateurs de l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes étant malheureusement peu représentatifs des disparités réelles dans les entreprises, il est essentiel d’affiner les constats en matière d’écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans l’entreprise.