« La question du ou des dispositifs de restructuration à utiliser devient stratégique », interview
Afficher l'article en plein écranComment se passent les restructurations au temps du Covid ? Paul Motte, expert à Syndex, et Mikaël Klein, avocat au sein du cabinet LBBa, vous apportent leur éclairage de terrain.
1/ Qu'observez-vous sur les dossiers sur lesquels vous intervenez en ce moment ?
Paul Motte : On observe une grande diversité de situations. Des entreprises rencontrent de nettes difficultés avec la crise. Les PSE qu’elles engagent servent à assurer leur pérennité. D’autres restructurent par opportunité. Elles utilisent la crise, facile à invoquer, pour justifier une recherche d’augmentation de la profitabilité et de la rentabilité.
La nouveauté, c’est que le PSE n’est plus l’outil unique, même s’il reste celui auquel l’employeur pense en premier lieu. La réflexion autour du ou des dispositifs de restructuration à employer devient stratégique : l’outil le plus adapté, permettant d’assurer la pérennité de l’entreprise tout en conservant le maximum d’emploi est-il un PSE, un accord de performance collective (APC), de l’activité partielle de longue durée (APLD), une rupture conventionnelle collective (RCC), ou un mixte de plusieurs dispositifs ? Désormais, les négociations peuvent d’abord porter sur le choix de l’outil de restructuration à mettre en œuvre ; de ce fait, elles peuvent s’allonger, elles se compliquent, deviennent techniques, d’où l’intérêt d’avoir un avocat à ses côtés.
La nouveauté, c’est que le PSE n’est plus l’outil unique, même s’il reste celui auquel l’employeur pense en premier lieu. La réflexion autour du ou des dispositifs de restructuration à employer devient stratégique.
Mikael Klein : Lorsqu’il a créé l’APC ou la RCC, mais aussi avec les mesures d’urgence prises pendant la crise, le gouvernement avait pour objectif de tout faire pour éviter les PSE. Pourtant, ils n’ont pas disparu. Cela reste même l’outil numéro 1 pour restructurer. Lorsque les outils alternatifs entrent dans la discussion, l’initiative en revient plutôt aux élus et organisations syndicales. J’ai eu le cas récemment : des élus/OS ont fait des contrepropositions après avoir montré, à l’aide d’un chiffrage Syndex, que le PSE n’était pas le moyen à privilégier sur le moyen terme.
Les négociations deviennent très dures et conflictuelles, comme souvent en période de crise. Certaines directions pensent avoir le droit de faire ce qu’elles veulent.
Comme le disait Paul, les négociations deviennent très techniques. Elles deviennent également très dures et conflictuelles, comme souvent en période de crise. Certaines directions pensent avoir le droit de faire ce qu’elles veulent. Les élus et organisations syndicales se retrouvent à sauver ce qu’ils peuvent, et non à négocier ce qu’ils veulent. Ils se sentent d’autant plus démunis que le soutien de l’administration est le plus souvent (même s’il existe évidemment des exceptions) assez limité et tardif.
Dernière chose, les entreprises ont bénéficié depuis mars d’un certain nombre de mesures de court ou long terme pour faire face à la crise : chômage partiel, exonérations ou reports de charges, etc. Ces dispositifs maintiennent les entreprises sous perfusion. Que se passera-t-il quand ces aides vont s’arrêter ? On peut craindre une année 2021 difficile.
Paul Motte : La tension dans les négociations s’explique aussi par une autre spécificité de la période : la santé, notamment psychique, des salariés comme des élus, est très dégradée. Le premier confinement a fragilisé les collectifs de travail, la crise sociale génère beaucoup d’inquiétude et d’insécurité. La survenue d’un PSE dans cette situation déjà « fragile » peut être vraiment problématique. Nous l’observons quand nous intervenons sur le volet SSCT d’une restructuration : des salariés témoignent de situations de stress intense et de détresse psychologique. Les élus aussi sont épuisés : ils ont été très mobilisés au printemps lorsqu’il a fallu organiser le confinement, les mesures sanitaires, le télétravail. Ils prennent à cœur leur mandat et gardent pour objectif le bien être des salariés. Et on peut s’attendre à une aggravation continue de la situation de ce point de vue : en 2021, beaucoup d’entreprises seront au pied du mur, avec des marges de manœuvre plus faibles, voire inexistantes.
La santé, notamment psychique, des salariés comme des élus, est très dégradée. Le premier confinement a fragilisé les collectifs de travail, la crise sociale génère beaucoup d’inquiétude et d’insécurité.
2/ Les négociations prennent de l’ampleur dans les restructurations. Avec quelles limites ?
Mikaël Klein : Les modifications introduites dans le Code du travail depuis 2013 ont permis de donner la priorité à la négociation. Aujourd’hui, nous rencontrons peu de dossiers où elle n’a pas sa place, du moins quand il y a des organisations syndicales dans l’entreprise. C’est une avancée, même si les échanges sont difficiles. Mais cela ne concerne pas toutes les entreprises. Si la prochaine vague de licenciements touche de petites entreprises dépourvues d’organisations syndicales voire de CSE, la situation sera différente.
Paul Motte : La négociation est présente mais, dans la quasi-majorité des cas, les échanges ne traitent que des mesures sociales et laissent de côté le nombre de suppressions de postes ou l’organisation qui résultera de la restructuration. La question de l’emploi en lui-même reste compliquée à aborder. Une jurisprudence rendue en juin par le tribunal des conflits pourrait changer partiellement la donne. Elle avance que la prévention des risques professionnels fait partie des éléments que la Direccte doit contrôler dans le cadre de sa décision d’homologation ou de validation d’un PSE. Cette jurisprudence pourrait aider les organisations syndicales à faire revenir la question de l’emploi dans la négociation, puisque les conditions de travail à l’issue du PSE découlent en grande partie du nombre d’emplois supprimés.
Dans la quasi-majorité des cas, les échanges ne traitent que des mesures sociales et laissent de côté le nombre de suppressions de postes ou l’organisation qui résultera de la restructuration. La question de l’emploi en lui-même reste compliquée à aborder.
Mikaël Klein : Depuis cette décision, un vent de panique souffle dans les directions. L’analyse des risques et des conséquences d’une réorganisation sur les conditions de travail des salariés qui restent était jusque-là un aspect très négligé dans les PSE. Cela va non seulement permettre que ce thème soit mieux pris en compte, avec l’obligation de prévoir des mesures protectrices, mais également en faire un levier de négociation pour obtenir de meilleures mesures d’accompagnement et d’indemnisation en contrepartie de la sécurisation de la procédure pour la direction. On peut parler d’une évolution positive.
3/ Syndex et 8 cabinets d’avocats dont LBBa proposent une intervention conjointe en cas de restructuration. Quels en sont les avantages pour les organisations syndicales ?
Mikaël Klein : La formalisation du partenariat est récente, mais notre collaboration dure depuis longtemps, parce que nous partageons des valeurs communes : notre préoccupation première est de trouver une solution constructive pour les salariés, pas d’aller au tribunal. On ne s’est pas choisi par hasard !
Le binôme expert-avocat est aujourd’hui bien rodé, on sait comment intervenir ensemble. Dans une négociation, on ne peut pas faire, demander ou accepter n’importe quoi. Notre complémentarité est utile pour identifier ce qui est réalisable ou acceptable : Syndex traite les dimensions économiques et sociales, le cabinet d’avocats apporte l’éclairage juridique, son expérience du contentieux, des conseils pour éviter les pièges et participe à la rédaction des éventuels projets d’accord, un enjeu clé parce qu’il faudra un jour les interpréter et les mettre en œuvre. Les élus sont rarement déçus d’avoir les deux compétences à disposition. Ils sont ainsi aussi bien outillés que les directions.
Dans une négociation, on ne peut pas faire, demander ou accepter n’importe quoi. Notre complémentarité expert-avocat est utile pour identifier ce qui est réalisable ou acceptable.
Paul Motte : Cette complémentarité est importante. Nous avons récemment accompagné avec une avocate de LBBa une équipe qui faisait face à un projet de plus de 1 000 suppressions de postes. La direction proposait d’articuler un PSE et un accord d’activité partielle de longue durée. Une telle articulation est potentiellement très technique, et l’expertise croisée Syndex et LBBa a été déterminante.
Enfin, il faut souligner que lorsque nous intervenons ensemble auprès des représentants du personnel, nous fonctionnons comme une équipe et élaborons en commun une stratégie. Les élus comprennent vite la cohérence et l’efficacité de cette approche.
Syndex et les cabinets d’avocats ADeSA (Lille), Borie et associés (Clermont-Ferrand), Delgado & Meyer (Lyon), Dulmet-Dorr (Strasbourg), Paté et Jung (Nancy et Metz), LBBa (Paris, Rennes et Nantes), Ottan Associés (Montpellier), VOA (Toulouse) accompagnent les élus de CSE et les délégués syndicaux dans les réorganisations « négociées » (accord de performance collective, PSE, négociations d’accords sociaux dans le cadre des fusions et cessions…). >> En savoir plus