La crise risque d’accélérer la restructuration de la filière aéronautique
Afficher l'article en plein écranDans un contexte de montée en cadence, la filière se restructure depuis plusieurs années afin de faire émerger des sous-traitants de plus grande taille. La crise pourrait pousser vers la défaillance de nombreuses entreprises et accélérer la recomposition de la filière, les donneurs d’ordres privilégiant les acteurs les plus solides financièrement… et les plus stratégiques à leurs yeux.
La baisse d’activité due à la crise met en péril toute la chaîne industrielle. De nombreux sous-traitants sortent fragilisés de la dernière phase de croissance : près d’un quart des PME aéronautiques françaises étaient déficitaires en 2018, un taux qui a augmenté de 10 points depuis 2012, au fil des baisses de prix demandées par les donneurs d’ordre et de la hausse des charges liées aux investissements. Les fournisseurs du Boeing 737 MAX entrent dans la crise actuelle encore plus fragilisés que les autres, après l’arrêt de la production de l’appareil en janvier 2020. Le risque de défaillance est réel pour de nombreuses entreprises.
JEU D’ÉQUILIBRISTE. Les donneurs d’ordres et les pouvoirs publics encouragent les rapprochements entre sous-traitants. Avec les conséquences sur l’emploi que cela induit. Dans le contexte actuel, la restructuration de la filière devient un jeu d’équilibriste pour la filière : qui soutient-on ? avec quels financements ? Certaines entreprises françaises pourraient devenir des cibles pour des groupes étrangers si elles ne sont pas protégées. L’enjeu à moyen terme pour les donneurs d’ordre est de conserver une base de fournisseurs solide pour la prochaine montée en cadence.
À l’instar de la chaîne d’approvisionnement, la filière des services subira de plein fouet la baisse d’activité. La R&D aéronautique civile pâtissait déjà de l’absence de nouveaux programmes et se contentait d’adaptations dans le cadre d’innovations incrémentales et de rares heures sur des projets de mobilité urbaine et de drones. Là aussi, la crise risque d’accélérer une tendance déjà à l’œuvre. Les entreprises de prestations informatiques et les bureaux d’étude des fournisseurs font également les frais de la crise ; Airbus est en train de mettre fin à plusieurs milliers de contrats de prestations, dans sa double logique de priorisations des projets et de réinternalisation de ces activités. Chez les sous-traitants, les contrats passés avec des sociétés qui fournissent du service sur les lignes d’assemblage final, pour du parachèvement ou du contrôle qualité, ont fortement diminué.
Pourtant, le maintien de compétences R&D à travers l’ensemble de la chaîne de valeur est vital pour la pérennité de la filière, comme l’illustrent tragiquement les déboires des programmes Boeing et notamment du 737 MAX.
LE VIRAGE VERS L’INDUSTRIE DU FUTUR POURRAIT S’INTENSIFIER, AU DÉTRIMENT DE L’EMPLOI
Sujet majeur pour les entreprises du secteur aéronautique, l’industrie du futur est une tendance de fond depuis plusieurs années, comme en témoignent différents programmes de transformation mis en place par le GIFAS et les grands donneurs d’ordre. La crise pourrait jouer comme intensificateur des mutations en cours en matière d’automatisation et de digitalisation : fabrication additive, réalité augmentée, industrial IoT, cobots, big data et intelligence artificielle, etc.
Dans une perspective de gains de productivité et de compétitivité coût, l’automatisation et la digitalisation du secteur pourraient s’accentuer lors du retour à une activité plus soutenue. L’activité serait certes maintenue localement mais avec des besoins en main-d’œuvre sensiblement moindres. Le retour à une production élevée pourrait ainsi ne pas être synonyme de reprise de l’emploi, à l’instar de ce qui a pu être observé dans le secteur automobile aux États-Unis à l’issue de la crise de 2008.