Financement de l’éolien en mer : est-ce l’État qui change d’avis ou le vent qui tourne ?
Afficher l'article en plein écranEn France, d’après la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) d’octobre 2016, les objectifs d’éolien en mer installé pour la France étaient de 500 MW en 2018 et 3 GW en 2023.
Pourtant, aujourd’hui en France, aucun parc n’est encore en exploitation, du fait notamment des différents recours juridiques et de la longueur des procédures administratives (10 ans de durée en moyenne, le ministre Hulot a pour objectif de la réduire à 7 ans).
Le gouvernement a souhaité début mars 2018 faire passer un amendement au projet de loi « Un État au service d’une société de confiance » pour renégocier les tarifs de rachat des appels d’offres éoliens « offshore » attribués en 2012 et 2014. L’amendement indiquait même que « si la renégociation des contrats n’était pas possible, une des options pourrait être de mettre fin à ces projets et de relancer une nouvelle procédure dans les meilleurs délais afin de pleinement profiter des améliorations technologiques ».
Deux premiers appels d'offres éoliens offshore lancés en France en 2012-2014
En 2012 et 2014 ont en effet été attribués deux appels d’offres éolien offshore français :
- Un premier appel d’offres (avec désignation en 2012) a permis le lancement de 4 parcs sur les sites de Courseulles-sur-Mer, Fécamp, Saint-Nazaire et la zone de Saint-Brieuc.
- En 2014, le deuxième appel d’offres a cette fois été attribué pour les sites du Tréport (Seine-Maritime) et des îles d’Yeu et de Noirmoutier (Vendée).
À l’issue de ces appels d’offres, EDF doit conclure avec le candidat choisi un contrat de rachat de l’électricité produite aux conditions précisées dans la réponse à appel d’offres. Ces tarifs sont estimés entre 170 € et 200 € par MWh.
De fait, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) avait souligné à l’été 2017 que le coût estimé de la subvention publique était de 40,7 Md€ sur 20 ans à partir de la mise en service prévue en 2021, à la charge de l’État et des consommateurs d’électricité.
La position du gouvernement : aujourd’hui, le coût de l’éolien offshore est bien inférieur à ce qu’il était au moment des deux premiers appels d’offres
Dans le dossier du maître d’ouvrage pour le débat public sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie (le décret PPE 2018 qui porte sur la période 2019-2028), l’énergie éolienne en mer est considérée comme faisant partie des « énergies non compétitives pour le moment », avec des coûts de production actuellement estimés entre 150 € et 200 € du MWh.
Coûts de l’éolien offshore en France
Pour limiter les coûts de l’éolien offshore en France, toujours comme le précise le dossier cité ci-avant :
- « La procédure d’appel d’offres pour les énergies renouvelables en mer permet désormais à l’État d’échanger avec les candidats sur les conditions de réalisation des projets afin d’en faire diminuer les coûts » et
- « L’État a engagé une autre procédure de simplification : il prendrait en charge les débats publics et les premières études préalablement au lancement des appels d’offres. Cela permettrait d’accélérer le développement des projets et de diminuer substantiellement leur coût. »
Pourtant, en Europe, on estime que le coût de production de l’éolien offshore peut aujourd’hui descendre largement en-deçà de ces niveaux (entre 50 € et 60 € par MWh sur certains parcs offshore). Tout récemment, le Suédois Vattenfall a même remporté un appel d’offres éolien offshore aux Pays-Bas sans subventions, ce qui illustre que, dans certains cas, cette technologie peut être compétitive… même si le PDG de l’industriel suédois – détenu à 100 % par l’État suédois – prend grand soin de rappeler que le contexte commercial et industriel français n’est absolument pas comparable .
Un amendement rejeté par le Sénat, mais des renégociations des tarifs à venir
Selon certaines sources (Greenunivers), un accord avait été trouvé fin décembre 2017 entre l’État et les trois consortiums qui portaient les projets attribués en 2012 et 2014. Cet accord – aux modalités non publiques – devait prévoir un partage des performances des parcs en cas de rentabilité « excessive » par rapport à ce qui était prévu initialement. Il devait être notifié à la Commission européenne comme modification d’une aide d’État.
On peut regretter que les éléments relatifs à cet accord ne soient pas publics ; et s’étonner que cette question du partage des gains de productivité surgisse aussi tardivement dans le débat public. En effet, la forte baisse des coûts dans l’éolien offshore a toujours été anticipée, sous réserve d’un certain nombre de conditions : maturation des technologies (puissance, durée de vie, rendements…) au fur et à mesure de la hausse des volumes à produire.
C’est dans ce contexte que le gouvernement a indiqué souhaiter début mars 2018 faire passer l’amendement pour renégocier les tarifs de rachat des premiers appels d’offres éoliens « offshore ».
Cet amendement a été rejeté par le Sénat, mais le débat n’est pas terminé pour autant. Des discussions en vue de la renégociation des tarifs devraient en effet s’engager entre l’État et les lauréats des appels d’offres avec des décisions prises au plus tard en juillet 2018.
Un débat en grande partie biaisé : le gouvernement compare des prestations qui ne sont pas comparables
Les tarifs consentis entre 2012 et 2014 en France ne sont absolument pas comparables à ceux promis par les industriels en 2017-2018 pour des champs en mer du Nord :
- les infrastructures industrielles et portuaires existent déjà là-bas, tandis qu’elles sont intégralement à construire sur le littoral français
- la question de la prise en charge des coûts de raccordement au réseau à terre trouve une réponse différente selon les pays
- en mer du Nord, la filière industrielle (turbines, équipements, pose et ancrage, opérations marines…) a déjà commencé à produire des économies d’échelle, compte tenu du nombre de turbines d’ores et déjà installées – contre quelques champs attribués en France mais sans la moindre installation à ce jour
- ces économies d’échelles sont d’autant plus importantes que l’éolien marin posé bénéficie autour de la mer du Nord de la baisse des coûts réalisée grâce… à l’éolien terrestre, avec des capacités de production et des volumes importants installés de longue date
Les études affichent toutes un potentiel de baisse important des coûts de l’éolien marin, au fur et à mesure de la croissance des volumes installés… à condition, bien sûr, que ces volumes croissent, et croissent à la vitesse prévue.
Exiger des efforts de la part des industriels en vue d’une rémunération juste, mais à condition que l’État joue pleinement son rôle
La filière éolienne offshore, notamment en France, est encore naissante. Elle a déjà vu des acteurs importants – comme AREVA via sa participation dans Adwen, ainsi qu’Alstom – connaitre des changements significatifs. En effet, la participation d’Areva dans Adwen avait été cédée à Gamesa qui a depuis fusionné avec Siemens, et les activités énergies d’Alstom, y compris d’éolien offshore, ont été reprises par General Electric – ce qui au passage posait déjà la question de la stratégie de l’État français dans cette filière.
Dans ce contexte mouvant, l’instabilité juridique constante depuis 2012 peut effrayer et/ou être un argument facile à avancer par les investisseurs et les industriels, et avoir des conséquences sur l’emploi dans la filière. Ils peuvent également avancer les arguments suivants : les tarifs de rachat ne garantissent pas l’équipement des zones, les recours administratifs demeurent extrêmement longs, les coûts de raccordement au réseau à terre sont élevés (alors qu’en Allemagne ou aux Pays-Bas, les pouvoirs publics les prennent à leur charge).
L’exigence des pouvoirs publics que la dépense publique ne serve pas les seuls intérêts des industriels et énergéticiens exploitants est, bien sûr, légitime. Ce qui le semble moins, c’est la négociation sans fin conduisant un gouvernement à ne pas respecter les engagements des précédents.
Plutôt que d’exiger dès aujourd’hui un « prix de marché » d’une filière qui reste à créer, il serait sans doute bien plus efficace et responsable de garantir la stabilité d’un cadre économique et administratif (tarifs, financements, délais) permettant d’atteindre à moyen terme un triple objectif :
- La transition énergétique à travers les EMR (énergies marines renouvelables : éolien offshore, houlomoteur, hydrolien, énergie thermique des mers, etc.)
- L’émergence d’une filière industrielle représentant un gisement conséquent d’emplois non délocalisables
- L’efficacité budgétaire avec la baisse progressive des coûts de production et de rachat d’électricité, au fur et à mesure de la montée des capacités installées.
C’est aussi en fixant des objectifs de cette nature – et en prenant des mesures qui permettent de les atteindre – que les pouvoirs publics arriveront à convaincre les salariés du secteur que la transition énergétique est une réalité, et qu’il est possible pour eux de construire un véritable parcours professionnel dans cette filière.
Pour cela, la mise en place de dispositifs de formation initiale et continue ou encore des conventions collectives en adéquation avec l’activité sont nécessaires.
S’il est manifeste qu’aujourd’hui la filière éolienne offshore française prend du retard, tout reste encore possible pour qu’une véritable filière créatrice d’emplois et soucieuse de l’environnement se développe, pour peu qu’il y ait suffisamment de concertations entre l’État, les différents acteurs industriels et les citoyens.