Auto : l’inflexibilité financière renforce la flexibilité des emplois. Interview.
Afficher l'article en plein écranL’année 2020 met la filière automobile à l’épreuve. Avec la baisse des ventes, les indicateurs financiers se sont dégradés chez de nombreux acteurs de la filière qui estiment qu’il y a urgence à rétablir la situation. C’est dans l’entreprise qu’ils trouvent les marges de manœuvre, notamment dans l’emploi. Forts du suivi des observations sur de nombreuses entreprises de la filière, nos experts de l’auto Anne-Gaëlle Lefeuvre et Coralie Iung décodent pour vous les comportements qui se dessinent.
En quoi les exigences financières influent-elles sur le comportement des entreprises de l’auto ?
Anne-Gaëlle Lefeuvre : Les grandes entreprises de la filière restent focalisées sur les cours de bourse et les notations financières, conditionnés par leurs marges, leur flux de trésorerie. Elles cherchent à montrer qu’elles sont plus performantes qu’auparavant et plus fortes que leurs concurrents. Durant cette période de crise, elles renoncent à la prudence qui voudrait que, les entreprises sacrifient un peu de leurs marges pour maintenir des stocks, préserver les effectifs tout en investissant pour s’adapter à la mutation de la filière. D'ailleurs, si vous observez les données mensuelles des entreprises, vous constaterez souvent que les marges opérationnelles dégagées depuis juillet retrouvent, voire dépassent leur niveau d’avant crise (ex. : Faurecia). C’est en cela que nous affirmons que les exigences financières sont considérées par beaucoup de donneurs d’ordre de la filière comme inflexibles !
Quelle est la contrepartie de cette inflexibilité financière ?
Coralie Iung : Sans conteste, la flexibilité de l’emploi ! Pratiquée depuis plusieurs années, elle tend à s’accentuer, et la crise accélère le mouvement. La flexibilité se manifeste de plusieurs manières. La plus évidente - et la plus courante - est d’adapter les effectifs intérimaires et prestataires à la charge de travail. Les intérimaires peuvent en effet représenter la moitié des effectifs de production dans les usines de la filière automobile. Avec la crise, ces personnels ont ainsi pu être débauchés en février-mars puis réembauchés, pour certains, durant l’été. Cela a été le cas chez NTNE par exemple.
La flexibilité se manifeste de plusieurs manières. La plus évidente - et la plus courante - est d’adapter les effectifs intérimaires et prestataires à la charge de travail.
Côté effectifs permanents, la crise a permis de franchir une nouvelle étape dans la flexibilité. La plupart des entreprises de la filière automobile ont sollicitée l’activité partielle durant les mois d’arrêt du printemps et l’envisagent de nouveau début 2021 pour faire face aux baisses d’activité à venir. Entre deux, l’activité a repris de façon soutenue, impliquant travail le week-end et heures supplémentaires en semaine. La possibilité de recourir à l’activité partielle est une bonne chose, mais cela induit une nouvelle organisation de la charge des usines. Guidée par un souci permanent d’optimisation, l’activité est réduite au maximum sur les périodes de chômage partiel. Lors des plages d’ouverture, les plans de charge sont au contraire renforcés. Les équipes avec lesquelles nous travaillons nous font part de l’incompréhension de nombre de salariés face à ces à-coups. Cela induit des périodes d’activité intenses, avec toutes les inefficiences et aléas des périodes de redémarrage, puis une interruption, sans visibilité sur la suite. Beaucoup aspirent à une activité plus lissée, de manière à travailler mieux et plus sereinement.
Quelles sont les limites de la flexibilité de l’emploi ?
Anne-Gaëlle Lefeuvre : Cette flexibilité maximale permet aux entreprises de réduire au strict minimum les charges de personnel en ajustant l’effectif – et le temps de travail – en bas de cycle et d’organiser une pleine utilisation des capacités ensuite. Nous voyons également croitre au sein de la filière les réflexions autour de la flexibilité horaire, avec la possibilité d’augmenter de 30 min-1 heure le temps de travail journalier pour faire face à des imprévus, et de l’abaisser lorsque la charge est moindre (cf. Toyota, PSA...). La flexibilité, acceptable dans une certaine mesure, a des limites. À trop en abuser, les entreprises risquent de s’exposer au désengagement durable des salariés et à des non-qualité, de l’absentéisme, mais aussi à un déficit d’attractivité de la filière...
À trop abuser de la flexibilité, les entreprises risquent de s’exposer au désengagement durable des salariés.
Nous défendons une approche dans laquelle la flexibilité puisse être discutée non pas uniquement sur son volet économique mais aussi sur son volet santé au travail, avec des limites et des contreparties.
Nous observons ainsi avec intérêt que plusieurs entreprises, dont Valeo, ayant mené de lourdes restructurations durant la précédente crise privilégient aujourd’hui le recours à l’APLD (activité partielle de longue durée). Elles savent combien ces réorganisations d’ampleur bousculent violemment et pour plusieurs années l’entreprise et ses salariés, à la fois pour ceux qui ont eu à partir et pour ceux qui restent et croulent sous la charge de travail.
Dans un contexte qui donne de plus en plus de place à la négociation d’entreprise, quels conseils donneriez-vous aux IRP ?
Coralie Iung : Les IRP vont être sollicitées par leur direction pour négocier des accords visant à l’adaptation de l’effectif à la charge de l’entreprise. Dans un premier temps, les représentants des salariés devront s’assurer que le type de solution proposé est bien en adéquation avec le but recherché. Par exemple, faire le choix de se séparer d’une partie du personnel pour passer un creux d’activité avant une reprise des volumes ne semble pas la meilleure solution pour assurer un avenir à l’entreprise ! La préservation des compétences est un élément clé pour permettre le rebond d’activité. Pour cela, avoir une information économique de qualité est nécessaire.
Les représentants des salariés devront s’assurer que le type de solution proposé est bien en adéquation avec le but recherché.
Ils devront par ailleurs s’assurer que les efforts demandés aux salariés (limitation, voire baisse de leur rémunération, modification des conditions de travail...) sont acceptables, limités dans le temps, et assortis de contreparties, notamment en termes de préservation de l’emploi, de clauses de retours à meilleure fortune ou d’effort proportionné des autres parties prenantes (actionnaires et management notamment).
Nos équipes d’experts et avocats partenaires œuvrent en ce moment au quotidien pour vous accompagner sur ces sujets, souvent épineux.