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Dossier : Newsletter auto #9

Auto : batteries quels enjeux pour l'Europe ?

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Les technologies des batteries représentent un des piliers stratégiques de la transition énergétique. L’Europe part de loin face à l’Asie et tente aujourd’hui de rattraper son retard sur un marché où la concurrence internationale s’intensifie. Focus sur la filière batterie et les enjeux de cette nouvelle bataille industrielle et géostratégique.

 

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Quelles technologies de batteries équipent les véhicules électriques aujourd’hui ?

La batterie au lithium-ion s’est progressivement imposée comme la technologie de référence dans le monde du transport comme dans celui de l’électronique grand public grâce à sa durée de vie et à sa densité d’énergie bien supérieure à celle des autres technologies.

Dans les batteries pour véhicules électriques – où les cellules au lithium portent le nom du matériau utilisé pour la cathode – les technologies à base de nickel-manganèse-cobalt (NMC) et de phosphate de fer (LFP) sont aujourd’hui les plus répandues.

  • Les batteries NMC (60% du marché en 2022) restent à ce jour les plus utilisées dans le secteur automobile, leur densité énergétique offrant une meilleure autonomie aux véhicules de segments supérieurs. Au fil de son évolution, cette technologie s’est fixée comme objectif d’enrichir la teneur des cathodes en nickel au détriment du cobalt pour des raisons à la fois d’ordre économique et éthique. Un défi toutefois complexe car, si l’ajout de nickel permet d’augmenter la densité énergétique, il implique aussi une plus grande instabilité structurelle des batteries.
  • Les batteries LFP (30% du marché en 2022), bien que de densité énergétique moindre par rapport aux batteries NMC, présentent toutefois des avantages réels en matière de sécurité, de durée de vie et surtout de coût (20% moins chères). Cela explique l’intérêt croissant des constructeurs pour cette technologie qui s’est développée sur le marché chinois et reste particulièrement bien adaptée aux véhicules de segments inférieurs, aux bus ou encore aux applications de seconde vie dans le stockage stationnaire.

Ces deux technologies devraient continuer à dominer le marché sur la décennie en cours mais les fabricants de batteries - souvent associés aux constructeurs – développent en parallèle les technologies de future génération (batteries tout solide, sodium-ion, lithium-soufre, etc.) afin d’augmenter la densité énergétique des cellules et de desserrer la contrainte financière liée aux matières premières.

En France, ACC et ProLogium se sont associés pour développer des batteries tout solide qui seront prochainement testées chez les constructeurs. L’entreprise picarde Tiamat, fondée en 2017 à partir de travaux de recherche du CNRS et du CEA, espère lancer son usine de fabrication de batteries sodium-ion fin 2023.

Qui sont les acteurs incontournables du lithium-ion ?

L’Asie contrôle aujourd’hui l’essentiel du marché des batteries lithium-ion. Les dix premiers fabricants de batteries lithium-ion pour véhicules électriques sont tous des acteurs asiatiques. À l’origine, le marché s’est développé via les acteurs historiques coréens (LG, SK...) et japonais (Samsung SDI, Panasonic...).

Toutefois, on assiste aujourd’hui à une montée en puissance de nouveaux entrants chinois. En 2022, ceux-ci détenaient plus de 50% de parts de marché, suivis par les fabricants coréens (25%) et japonais (10%). Le chinois CATL, leader du secteur, captait à lui seul un tiers du marché. Le chinois BYD a presque doublé sa part de marché et ravi la troisième place au japonais Panasonic. Absents du top 10 mondial, les Européens et les Américains accusent un retard considérable sur le marché du lithium-ion.

Quelle est la tendance en matière de coût de production des cellules de batteries ?

Le prix du kWh de batterie a augmenté pour la première fois l’année dernière après plus d’une décennie de baisse. Ce retournement s’explique par l'augmentation du prix des matières premières, dont le carbonate de lithium et le nickel, et plus généralement par l’inflation.

En 2022, le prix moyen des cellules lithium-ion a progressé de 11% sur un an, à 120 $/kwh, revenant aux niveaux de 2019. Le prix moyen d’un pack de batteries lithium-ion a quant à lui progressé de 7%, à 151 $/kwh. Le cabinet Bloomberg estime que le passage sous la barre symbolique des 100 $/kWh – considéré comme le point de parité avec la production d’un véhicule thermique – n'aura pas lieu avant 2025, au lieu de 2024 prévu initialement. Les prévisions actuelles de plusieurs constructeurs convergent vers un prix cible de 80 $/kWh en 2030.

À l’échelle régionale, la Chine conforte son avantage compétitif avec un prix moyen des batteries de 127 $/kWh en 2022, soit 24% de moins qu’aux États-Unis et 33% de moins qu’en Europe. Le pays profite de son avance en matière de développement des gigafactory et de son positionnement sur la technologie LFP qui, tout en restant 20% moins chère que la chimie NMC, a tout de même vu son coût bondir de 27% en 2022. Cette crise récente a mis en lumière les enjeux stratégiques liés à l’accessibilité et de la maitrise des coûts des matériaux actifs de cathode qui représentent en moyenne près de la moitié du coût de fabrication d’une cellule.

Quels sont les risques identifiés sur la disponibilité des matériaux actifs de cellules ?

En 2021, l'augmentation des prix du lithium, du nickel et du cobalt s’explique notamment par l'insuffisance de l'offre par rapport à la demande cette année-là. Si la situation semble se rééquilibrer en 2022 pour le nickel et le cobalt, ce n’est pas le cas du lithium avec une offre toujours sous tension dans un contexte de forte croissance de la demande de batteries pour véhicules électriques.

Plus généralement, les projets miniers, en particulier dans le lithium, devront accélérer pour que l’offre suive la demande future. Les risques de goulets d’étranglement sur les chaînes d’approvisionnement de matériaux actifs de cellules de batteries dépendront de la rapidité de la mise en place de ces nouveaux projets miniers qui peuvent s’étalent généralement sur plusieurs années. Dans ce contexte, de plus en plus de constructeurs automobiles nouent des partenariats miniers pour se préserver de la volatilité des prix et sécuriser leurs futurs approvisionnements stratégiques comme Tesla et GM avec Vale, Mercedes avec Rock Tech Lithium ou encore Stellantis avec Vulcan et Terraframe.

Les capacités de lithium-ion sont-elles suffisantes pour absorber la demande future ?

Le marché s’oriente de toute évidence vers une croissance exponentielle de la demande de lithium-ion, tirée par le développement de l’électromobilité en Chine, en Europe et en Amérique du Nord.

Selon l’Agence internationale de l’énergie (IEA), la demande mondiale de batteries lithium-ion pour l’automobile a atteint environ 550 GWh en 2022, en hausse de 65% par rapport à 2021.

Selon la trajectoire médiane de 17 analyses de marché synthétisées par l’IPCEI Batterie, la demande mondiale annuelle de batteries lithium-ion atteindrait 3,2 TWh en 2030 (soit l’équivalent de 65 millions de batteries de 50 kWh), puis 7,1 TWh en 2040.

À ce jour, les capacités de production annoncées permettraient donc a priori de satisfaire la demande mondiale. Les risques de déséquilibre entre offre et demande sont davantage localisés sur l’amont de la chaîne de valeur et liés à la disponibilité des matières premières destinées à la fabrication de cellules.

Qui contrôle aujourd’hui la chaîne de valeur mondiale des batteries ?

La Chine est clairement en position de force sur l’aval de la chaîne d’approvisionnement des batteries pour véhicules électriques. Selon les données 2021 de l’IEA, le pays contrôlait 80% de l'extraction mondiale du graphite destiné aux anodes de cellules, plus de la moitié des capacités mondiales de raffinage du lithium, du cobalt et du graphite, et plus de 75% des capacités de production mondiale de cellules. Cette domination sur la production de matériaux actifs de cellules rend la Chine plutôt incontournable et fragilise l’Europe et l’Amérique du Nord, deux régions en risque de sous-capacité s’agissant aussi bien de la fabrication de cathodes que d’anodes d’ici la fin de cette décennie.

Où en est la filière batteries en Europe ?

Les projets de méga-usines de batteries lithium-ion se sont multipliés au cours de ces dernières années en Europe, appuyés en partie par l’Alliance européenne des Batteries (lancée fin 2017) et les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC), l’instrument privilégié pour construire une chaîne de valeur locale et maintenir le continent dans la course technologique mondiale face à l’Asie et aux États-Unis.

À ce jour, on dénombre une cinquantaine de projets de gigafactory d’une capacité théorique totale d’environ 1,8 TWh à horizon 2030, soit l’équivalent de 30 millions de batteries de 60kWh. Compte tenu des prévision actuelles du cabinet S&P, tablant sur marché européen (UE30) de près de 15,5 millions de véhicules légers en 2030 (dont environ 70% de purs électriques), des risques de surcapacités et de consolidation du secteur ne sont pas à exclure. À quelques exceptions près, les usines déjà opérationnelles sur le continent appartiennent principalement à des groupes asiatiques (LG en Pologne, Samsung en Hongrie, CATL en Allemagne...). Les projets de méga-usines en cours sont aujourd’hui potentiellement fragilisés dans ce contexte de concurrence internationale accrue et de crise énergétique qui pèse sur la compétitivité de la filière batteries en Europe.

Quels sont les enjeux pour la filière en Europe ?

L’Europe accuse un retard important sur la technologie lithium-ion et la production de batteries pour son industrie automobile locale. Elle part de loin face à une Chine très en avance et des Etats-Unis à la puissance financière redoutable, avec 430 milliards de dollars de subventions sur dix ans prévus dans le cadre de l’Inflation Reduction Act (IRA), dont une large part consacrée à la filière du véhicule électrique. Les politiques et soutiens publics joueront un rôle déterminant dans la course mondiale aux batteries électriques et la reconfiguration des chaînes d’approvisionnement automobiles.

Du point du vue industriel, l’enjeu de souveraineté pour l’Europe ne se limite pas aux seules gigafactory mais à la création d’un écosystème complet de la batterie afin de réduire autant que possible sa dépendance aux matériaux critiques importés et s’affranchir des risques de tensions sur l’offre de lithium. Cette année, l'UE s’est ainsi dotée d’un nouveau cadre règlementaire pour les batteries et leur recyclage visant à décarboner la filière et à encourager le recyclage et l’économie circulaire.

Sur le plan de l’innovation, l’appui au développement de nouvelles technologies comme les batteries tout solide, qui constituent la priorité des efforts R&D en Europe, sera lui aussi décisif pour maintenir les européens dans la course. À ceci s’ajoutent des enjeux très importants en matière de sauvegarde de l’emploi et d’adaptation des compétences induits par cette transformation radicale de la filière.

Projets de Gigafactory : que se passe-t-il en France ?

Quatre projets de gigafactory sont en projet en France, tous localisés dans les Hauts-de-France.

  • ACC, JV entre Stellantis, Saft et Mercedes, ouvre en 2023 la première tranche de sa gigafactory à Douvrin (HdF). Sa capacité devrait atteindre 40 GWh en 2030, avec une extension possible à 55 GWh. Parallèlement, ACC a prévu de s’implanter en Allemagne et en Italie. Sa capacité globale estimée pour 2030 est de 120 Gwh, soit 2,5 millions de batteries.
  • Envision AESC, partenaire du groupe Renault pour équiper ses futurs petits véhicules électriques R5 et R4, est implanté dans l’usine de Renault à Douai. Sa production démarrera en 2024 pour une capacité de 24 GWh à l’horizon 2030, soit près de 500 000 batteries de 40 à 50k wh.
  • Verkor est parvenu à lever plus de 2 milliards d’euros pour financer son projet de gigafactory de cellules de batteries haute performance sur le port de Dunkerque. Sa production devrait démarrer en 2025. L’objectif est d’atteindre 50 GWh par an à partir de 2030.
  • Le taiwanais Prologium a annoncé en mai dernier l’implantation à Dunkerque également d’une gigafactory de batteries solides. Le lancement est prévu en 2026. La capacité à terme serait de 48Gwh.

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