Aéronautique : technologies et enjeux de la décarbonation
Afficher l'article en plein écranTrois facteurs amènent à faire de la décarbonation de la filière aéronautique un axe stratégique pour ses principaux acteurs : le dérèglement climatique, l’augmentation du trafic à long terme et la pression des parties prenantes externes et internes (société civile, États, actionnaires). La crise sanitaire a accéléré cette tendance déjà à l’œuvre et la facilite par le déblocage de fonds publics dédiés. Plusieurs pistes sont explorées par les avionneurs pour décarboner leurs appareils, chacune présentant son lot d’enjeux.
Décarbonation… c’est-à-dire ?
La décarbonation de la filière aéronautique renvoie à la réduction des émissions de CO2 des appareils mais aussi de l’ensemble de la chaîne de production. Et l’enjeu dépasse les seuls motoristes : les moteurs doivent certes être moins consommateurs et émetteurs, mais l’avion dans sa globalité doit aussi permettre de réduire ces émissions notamment par son allègement (composites, pièces conçues et produites en 3D…), par son électrification (fonctions internes, roulage au sol…) et par son aérodynamisme (ailes morpho) ; et le contrôle aérien a aussi un rôle à jouer pour devenir plus efficient, avec notamment l’optimisation du trafic aérien et des trajectoires d’avions, l’automatisation des procédures…
>>> Voir aussi notre article sur la communication environnementale des entreprises du secteur
Les pistes étudiées et leurs enjeux
La propulsion est, très largement, la première source d’émissions de CO2 d’un avion : quelles sont les différentes réponses technologiques apportées par les motoristes ?
1/ L’électricité… comme complément d’énergie
COURT TERME
Les performances des batteries ne permettent pas d’envisager dans un proche horizon la mise au point d’avions commerciaux tout électriques, mais elles offrent la possibilité d’une hybridation partielle.
Exemple du moteur ENGINeUS de Safran devant équiper les appareils hybrides électriques Cassio de VoltAero ou le futur avion régional du toulousain Aura Aéro.
2/ Continuer à réduire la consommation de carburants, quels qu’ils soient
COURT TERME
Le Leap et le PW1000G équipant les monocouloirs ont permis une réduction de 15 % de la consommation et des émissions, et la prochaine génération doit permettre de passer à nouveau cette marche voire davantage (20 % pour le moteur RISE de GE et Safran, à l’horizon 2035).
3/ Carburants durables : le biofuel
COURT TERME
Issu de la biomasse, le biofuel est le plus simple des carburants durables (SAF pour sustainable aviation fuel) à mettre en œuvre d’un point de vue technique puisqu’il a l'avantage de ne pas nécessiter le changement des moteurs et infrastructures actuels.
Les moteurs sont d’ores et déjà compatibles avec un mélange de SAF et kérosène et l’objectif des motoristes et avionneurs est de parvenir à un taux d’incorporation de 100 % dès cette décennie. Et c’est une transition efficace puisque les SAF peuvent réduire les émissions de CO2 de 80 % par rapport au kérosène sur l'ensemble de leur cycle d'utilisation, selon l'Association du transport aérien international (Iata).
En France, le cadre législatif prévoit d’ailleurs l’incorporation de 1 % de biocarburant sur tous les vols au départ du territoire national à compter de 2022. Suivra une incorporation progressive à hauteur de 2 % à l’horizon 2025 et de 5 % en 2030 (loin des 30 % prévus par les pays scandinaves). À long terme, la feuille de route française vise un objectif de substitution de 50 % du carburant conventionnel d’origine fossile par des biocarburants aéronautiques durables en 2050.
Si ces objectifs sont atteints, c’est toute une filière de production et distribution de SAF qui doit se structurer, pour répondre aux enjeux de coûts (les SAF serait 3 à 4 fois plus chers, selon les matières premières utilisées). Une telle structuration de filière pose la question du financement pour y parvenir : quelle part publique, quelle part de capitaux privés ? Cette structuration devra aussi répondre aux besoins massifs de l’aéronautique… et d’autres filières. Sans compter que la production ne doit pas empiéter sur les cultures alimentaires ou sur les terres arables ou boisées. Aujourd’hui, les SAF sont produits à partir d’huiles végétales usagées surtout, demain sans doute à partir de déchets forestiers et agricoles. Mais l’ensemble représente un volume limité par rapport aux besoins : le regroupement d’ONG Transport & Environnement estime que les biofuels ne pourront satisfaire que 11 % des besoins en carburant de l’aviation en 2050. L’Iata estime pour sa part qu’il faudra 450 milliards de litres de SAF d’ici 2050 pour se confirmer à la trajectoire “Net 0”, sachant que l’Icao anticipe pour sa part une capacité annuelle de production d’à peine 8 milliards de litres à partir de 2032.
4/ Carburants durables : les e-fuel
Les SAF ne sont pas tous issus de la biomasse, ils peuvent aussi être synthétisés à partir d’un assemblage d’hydrogène et de carbone prélevé dans l’atmosphère ou dans les rejets industriels. Ils permettraient une neutralité carbone et un impact climatique réduit d’environ de moitié selon l’ONG Atmosfair (condensations et ozone sont émis).
Cette solution attire les industriels : Safran et Engie se sont associés pour investir dans Ineratec, start-up allemande qui a mis au point des unités de production modulaires complètes.
Cette technologie en est encore à ses débuts, et elle est particulièrement énergivore (rendement de 40 %). Son déploiement suppose donc des investissements colossaux en matière d’électricité verte pour répondre aux besoins et pour réduire les coûts (elle est aujourd’hui 8 fois plus coûteuse que le kérosène). Qui supporterait ces coûts supplémentaires : les compagnies aériennes, les passagers, les collectivités publiques, les industriels... ?
5/ L'hydrogène
MOYEN TERME
Cette ressource fait l’objet d’un engouement massif, avec des effets d’annonce politique et des fonds de R&D débloqués. En 2020, Airbus annonçait ainsi le lancement d’un avion à hydrogène pour 2035 (programme ZEROe).
L’hydrogène pourra par ailleurs alimenter une pile à combustible pour délivrer une puissance électrique complémentaire, voire pour propulser de petits avions et des turbopropulseurs régionaux.
Cependant, cette ressource ne pourra pas être utilisée comme carburant pour les nouveaux appareils monocouloirs livrés d’ici 2035. Or ils constitueront une part importante de la flotte en service en 2050. Cette ressource jouera donc un rôle limité dans la décarbonation à cet horizon.
La question de la production d’hydrogène vert se pose comme pour le e-fuel. Mais il s’agit aussi de la technologie la plus en rupture, qui nécessitera le développement de solutions de liquéfaction, distribution et stockage (volume trois plus important que le kérosène et températures cryogéniques), des systèmes propulsifs adaptés, des architectures d’avion différentes de celles d’aujourd’hui (ailes volantes), et enfin une évolution des équipements aéroportuaires. Elle pose aussi des problématiques de sécurité, l’hydrogène étant susceptible d’exploser à de faibles concentrations : le réseau de distribution et les réservoirs devront être conçus contre le risque de fuites.
En conclusion
La solution à horizon 2050 réside dans un mix de solutions : contrôle aérien et conception de l’appareil pensés pour répondre aux enjeux environnementaux, systèmes propulsifs alliant électrique, biofuel et e-fuel, des moteurs moins consommateurs de carburant, et à long terme l’hydrogène. Des paliers techniques restent à passer, qui doivent faire l’objet d’un effort de financement public mais aussi privé. Et l’enjeu dépasse l’aviation, avec la nécessité de bâtir une filière SAF et de créer des capacités colossales en électricité verte. L’accroissement des contraintes politiques et sociétales, s’il se poursuit, pourra-t-il accélérer la tendance ?